Lutte contre l'exploitation sexuelle - Prostitution de mineures : «Nous appelons au sens civique de chacune et chacun»

La crise du Covid-19 a vu un déplacement progressif de la prostitution vers la sphère privée et sur Internet. A l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre l’exploitation sexuelle, revenons sur un phénomène très interpellant : la prostitution de mineures et leur exploitation sexuelle via les réseaux sociaux. Face à ce constat, le manque de moyens se fait sentir...

Prostitution de mineures : «Nous appelons au sens civique de chacune et chacun»

La pandémie a fait surgir plusieurs phénomènes criminels inquiétants. Outre les piratages informatiques, il semble que la prostitution de mineures grimpe en flèche. « Il est difficile d’obtenir des chiffres précis car une partie a lieu clandestinement mais c’est une tendance que l’on constate globalement avec la forte présence des médias sociaux », nous confie le commissaire Éric Garbar, chef de la section Traite et Trafic d’Etres Humains de la Direction centrale de la lutte contre la criminalité grave et organisée (DJSOC).  Son équipe de onze personnes soutient les enquêteurs de terrain. « Nous recueillons des informations et des renseignements afin d’aider au mieux les collègues. Et les mineurs d’âge figurent en tête de nos priorités. »

Derrière la prostitution se cachent des personnes sans scrupules. « Ceux qui exploitent les jeunes filles mineures de 14-15 ans agissent beaucoup à travers Snapchat et TikTok. Et même si nous possédons une équipe chargée d’effectuer des recherches sur Internet, nos moyens manquent souvent et la vigilance des citoyens nous est donc indispensable ! »

C’est d’ailleurs ainsi qu’un homme a pu être placé récemment sous mandat d’arrêt. « Nous avons reçu un signalement d’une personne qui avait consulté une petite annonce étrange sur Internet. Il s’est avéré qu’elle émanait de deux jeunes filles en fugue séquestrées et forcées à se prostituer. Avec l’appui de la Police Locale, l’homme qui les exploitait a pu être placé sous mandat d’arrêt. Grâce à la vigilance de ce tiers, que nous remercions, nous sommes arrivés à l’arrêter ! »

 

Des comportements étranges ? Signalez-les !

La mobilisation générale est nécessaire pour s’attaquer au phénomène. «Il est indispensable de sensibiliser les citoyens comme lors de la campagne Blind Betting. Les familles peuvent notamment nous avertir si elles constatent que leur fille s’isole de ses proches, fugue, porte des affaires hors de prix,… Ce sont des indices de prostitution », analyse Éric Garbar.

Dans ce cas, prendre contact avec la police est bienvenu. « Nous appelons au sens civique de chacune et chacun. Qu’il s’agisse des proches, des éducateurs, des enseignants ou des ami.e.s. Si vous constatez des faits, n’hésitez pas à vous rendre dans un commissariat ou à contacter le 101. La police est là pour arrêter les criminels mais aussi pour aider les victimes ! »

« Aider une personne victime d’exploitation sexuelle est toujours source de satisfaction »

Il y a 30 ans, lorsqu’est paru le livre "Elles sont si gentilles, monsieur", de Chris De Stoop, et que le centre d’accueil Payoke à Anvers a commencé à gagner en notoriété, nous pensions que la lutte contre l’exploitation sexuelle et le trafic des femmes allaient rapidement appartenir au passé. Malheureusement, la réalité est tout autre : en 2022, la lutte contre les réseaux organisés de trafic d’êtres humains est toujours d’actualité. « Jadis, les victimes étaient principalement des femmes provenant des pays du bloc de l’Est, en particulier la Bulgarie et la Roumanie. Aujourd’hui, nous avons de plus en plus affaire à des femmes venant d’Afrique, d’Amérique du sud, et même, depuis un ou deux ans, d’Asie, de Chine pour être précis », explique le premier inspecteur principal Johan Debuf, de la zone de police POLBRUNO.

 

Ce dernier travaille à la section Traite des êtres humains depuis plus de 20 ans, période pendant laquelle il a assisté à l’émergence de nombreux phénomènes. « Ces derniers temps, nous remarquons un déplacement progressif de la prostitution vers la sphère privée et sur Internet. C’est particulièrement le cas pour l’exploitation sexuelle de femmes d’Amérique du sud et d’Asie. La prostitution en vitrine est plus facile à contrôler. Nous pouvons vérifier si les travailleuses du sexe possèdent des documents légaux et si elles exercent leur métier à titre ‘officiel’. Parfois, nous remarquons que des femmes disparaissent subitement des vitrines pour ensuite réapparaître ailleurs, ce qui nous laisse supposer que quelque chose cloche. »

Cette « pratique » est devenue une véritable activité économique. « L’échiquier compte différents intervenants. Les ‘trafiquants’ dans les pays d’origine les appâtent avec de belles promesses. Ensuite, les ‘téléphonistes’, qui créent, publient et adaptent les annonces, qu’elles soient légitimes ou non. Pour les filles qui ne parlent pas la langue, les ‘téléphonistes’ leur servent d’intermédiaire pour tous leurs contacts avec le client. Enfin, les ‘logisticiens’, qui s’occupent de trouver un logement/un lieu de travail et les GSM. » Heureusement, l’équipe dispose de moyens divers pour vérifier la légitimité des annonces. Ces outils sont surtout essentiels pour lutter contre l’exploitation des mineurs d’âge. « Les lover boys publient aussi des photos sur les sites web. La plupart du temps, leurs victimes sont des filles mineures qui ont fui leur domicile ou une institution et qui représentent donc une proie facile. Ils postent d’abord une photo de femme adulte, puis la remplacent ensuite par une photo de la véritable fille en question une fois le compte ‘approuvé’. Un autre phénomène est que la jeune fille est apprêtée de sorte à ce qu’elle ressemble à une personne majeure. »

 

Johan et ses collègues scrutent quelques indicateurs (papiers d’identité, localisation, état physique, rythme de travail élevé, etc.) avant de procéder à une enquête approfondie ou non. Mais on peut mieux faire. « Le statut des travailleurs du sexe gagnerait en clarté si le politique sortait la prostitution de la zone grise », avance le premier inspecteur principal. « Cela nous permettrait de mieux distinguer l’exploitation sexuelle de la prostitution classique, et de mettre en place une approche plus minutieuse. »

Il reste donc pas mal de pain sur la planche. « Même si notre équipe est très expérimentée, ce serait bien de pouvoir transmettre nos connaissances et notre expérience à des jeunes recrues », ajoute Johan Debuf. « En effet, l’approche de la lutte contre l’exploitation sexuelle doit suivre l’évolution des pratiques des exploiteurs, et des effectifs supplémentaires ne seraient dès lors pas du luxe. »

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