La plus-value de la cartographie criminelle

Dans les années quatre-vingt, des chercheurs ont tenté d’expliquer la délinquance par sa dimension spatiale. De cette perspective déboucheront des applications pratiques comme la cartographie criminelle, parfois appelé la gėocriminalité. Que nous apporte-t-elle ?

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Les origines : la géocriminologie

La géocriminologie constitue l’étude géographique du phénomène criminel, soit la rencontre à un moment donné, dans un endroit précis, d’un délinquant et d’une cible. Elle a inspiré la cartographie criminelle avec ses apports et ses limites.

Un concept a sans doute favorisé l’essor de la géocriminologie : la « prévention situationnelle » (Clarke,1995). Celle-ci s’intéresse plutôt aux délits qu’aux délinquants, en invitant à agir sur l’espace pour restreindre les conditions propices au passage à l’acte. D’aucuns ont notamment considéré les caractéristiques du milieu comme un des facteurs explicatifs de la criminalité (criminologie environnementale). Ainsi, ils ont notamment établi un lien entre taux de criminalité et taille des villes ou « quartiers socialement désorganisés » (précarité, urbanisation anarchique, etc.).     

C’est certainement dans les pays anglo-saxons qu’une utilisation pratique de cette perspective d’étude a débuté. D’abord, représentée par un système empirique, mêlant cartes en papier et punaises, elle a adopté l’outil informatique, grâce également au développement des Nouvelles technologies de l’information et de la communication.        

Il est admis que la police new-yorkaise a été pionnière en la matière en utilisant son logiciel de cartographie criminelle « Compstat » dès la fin des années quatre-vingts. 

 

Apports de la cartographie criminelle

Au niveau des enquêtes, elle est notamment utilisée pour identifier les auteurs de crimes violents (meurtres en série, viols…) en éliminant/identifiant des lieux où ils pourraient résider (ou fréquenter). Ce « profilage géographique » suppose que les auteurs agissent là où ils se sentent à l’aise voire aux endroits qu’ils connaissent. Il peut aussi s’agir de relier des affaires entre elles voire d’identifier des lieux de prédilection.

Mais elle est surtout utilisée par les polices de nombreux pays afin de faciliter l’analyse et la diffusion des tendances pour les délits communs (ex : cambriolages de domiciles). Elle permet une visualisation rapide et aisée des « points chauds » favorisée par la généralisation des GPS pour localiser exactement les faits.

Source : IHESI, 2001

Source : IHESI, 2001

Notons néanmoins que cette « image » est insuffisante pour déterminer des actions qui doivent résulter d’une analyse plus affinée des données permettant, entre autres démarches, de répondre aux questions suivantes :

  • Pourquoi certains lieux sont-ils plus attractifs ? Par exemple, parce que les cibles sont nombreuses (gare, centre commercial, …) ou encore parce que la localisation de la majorité des vols dans les habitations se situe à proximité des grands axes de circulation et s’explique par l’implication d’une « criminalité itinérante » ;
  • Quel est le mode opératoire ? Ainsi, certaines configurations urbanistiques permettent une certaine discrétion favorisant les « deals », etc. Des analyses ont par exemple établi une corrélation entre types d’actes et variables contextuelles (densité structurelle, morphologie de la voirie, …). Différents chercheurs ont considéré qu’il convient d’attribuer une « spécialité » (de délit) à différents lieux, etc.

Alors, il est possible d‘envisager des mesures de prévention situationnelle adéquates et ciblées. Par exemple, aux endroits où les incivilités sont nombreuses comme des rassemblements problématiques, il peut être envisagé d’enlever des bancs publics, de mobiliser des travailleurs de rue, etc.

Comme toute organisation est soumise à une logique d’économie des ressources, dans une perspective managériale, ces analyses permettent aussi, à un niveau tactique, de répartir les moyens avec efficience selon les changements spatio-temporels de la délinquance (temporalités, régression, propagation, etc.). Ainsi, il est possible d’orienter les patrouilles vers les « hotspots » plutôt que de les déplacer au hasard.

Sur le plan stratégique, la cartographie criminelle sert de base à la réalisation de plans mais aussi à l’évaluation des actions entreprises. Elle permet notamment d’observer d’éventuels déplacements de la criminalité en corrélation avec les mesures entreprises, dans une perspective diachronique (à des temporalités différentes), en tenant compte d’un territoire plus large et de données contextuelles utiles.

A noter aussi l’initiative originale - et démocratique - de la police anglaise qui permet à la population de consulter en ligne la cartographie criminelle de leur quartier en mentionnant simplement une adresse (https://www.police.uk/pu/advice-crime-prevention/). Elle devient alors non seulement un outil d’aide à la décision mais aussi de communication avec les citoyens et d’autres acteurs car elle propose une image simple et concrète.

 

Critiques

Bien que la cartographie criminelle et les apports théoriques de la géocriminalité soient utiles et leurs développements prometteurs, les critiques ne manquent pas. Notamment, il leur est parfois reproché de :

  • stigmatiser une population marginalisée  (ex : la lutte contre la prostitution) ;
  • favoriser les dérives de la prévention situationnelle qui ne tient pas suffisamment compte de la participation citoyenne ;
  • négliger les études individuelles pour examiner le lien entre le délinquant et son lieu de vie, etc.

En toute hypothèse, on comprendra que la diffusion d’une cartographie criminelle doit être accompagnée d’un commentaire succinct alliant éléments contextuels et modalités d’analyse, nourri d’une approche pluridisciplinaire comprenant les apports de la géocriminalité.



Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er

Source :

Claire Cunty, Fabrice Fussy et Pascale Perez, « Géocriminologie, quand la cartographie permet aux géographes d’investir la criminologie », Cybergeo: European Journal of Geography [En ligne], Cartographie, Imagerie, SIG, document 378, mis en ligne le 08 juin 2007, consulté le 19 octobre 2022. URL :

http://journals.openedition.org/cybergeo/7058 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cybergeo.7058

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