La lutte anti-mafia en Italie

L’Italie a une longue expérience de lutte anti-mafia. Portée par des magistrats charismatiques comme Paolo Borsellino et Giovanni Falcone, elle s’est matérialisée par des pratiques d’enquête et des initiatives organisationnelles et législatives.

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La « méthode Falcone », une approche multidisciplinaire

Il est bien souvent fait mention de la « méthode Falcone », d’abord parce que ce magistrat a été d’une redoutable efficacité et, ensuite, parce que son approche originale de la lutte contre la mafia a fait école, notamment la nécessité de procéder au partage entre enquêteurs et magistrats spécialisés, à la collecte et à l’analyse des informations anticipant ainsi des pratiques « d’analyse criminelle ».

Plus particulièrement, il a montré tout l’intérêt des enquêtes patrimoniales, de la coopération internationale et du recours aux repentis. Il a mis l’accent sur le travail en « pool » de magistrats, la coordination des enquêtes et la spécialisation des enquêteurs.





Les commissions parlementaires anti-mafia

Confronté à Cosa Nostra en Sicile, dès 1963, l’Etat italien a créé une commission parlementaire anti-mafia alors qu’a éclaté ce que l’on a appelé la première guerre de la mafia.

Chargée d’enquêter sur le phénomène mafieux en Sicile, elle sera suivie par plusieurs commissions qui élargiront leur champ d’investigations aux autres organisations criminelles italiennes (Camorra , 'Ndrangheta et Sacra Corona Unita).

Plus globalement, les commissions qui se succèderont jusqu’à nos jours auront pour fonctions essentielles d’étudier le phénomène mafieux et d’examiner l’efficacité des mesures législatives et administratives prises à son encontre. Elles feront aussi des rapports et des propositions législatives au Parlement.

L’une d’elles a notamment enquêté sur les rapports supposés entre mafia et politique. 

 

Les initiatives législatives

La mafia suppose la réunion d’un certain nombre de malfaiteurs pouvant constituer sous certaines conditions l’infraction d’association de malfaiteurs. Cette dernière incrimination s’étant avérée inefficace, le législateur italien a voté en 1981 l’infraction d’association de type mafieux (416bis du code pénal) qui permet de sanctionner, selon le rôle joué, le simple fait d’y appartenir (exécutant, dirigeant…). L'association est considérée de type mafieux quand ceux qui en font partie se prévalent de la force d'intimidation du lien associatif et de la condition d'assujettissement et « d'omertà » (loi du silence) qui en découle, pour commettre des délits, pour acquérir directement ou indirectement la gestion ou en tout cas le contrôle d'activités économiques, etc.

La législation antimafia ne se limitera pas à cette législation mais elle se renforcera par diverses initiatives, notamment :

  • Le statut et la protection des repentis ;
  • Les écoutes téléphoniques et « d’ambiance » ;
  • La détention renforcée pour les chefs mafieux ;
  • Les saisies des biens des mafieux avec leur possible reconversion pour des raisons d’utilité publique et création d’une agence nationale des biens saisis ;
  • Après enquête, certificat antimafia délivré par les préfectures pour toute personne physique ou morale voulant décrocher un contrat public ;
  • Un code antimafia, etc.

On notera que ces dispositifs soulèvent des questions concernant la protection des droits individuels et des problèmes pratiques car on sait que près de six mille personnes se trouvent actuellement sous protection.

 

Magistrature : la Direction nationale et les procureurs anti-mafia

Par la création d’un pool anti-mafia en 1980, les enquêtes sur Cosa Nostra vont être centralisées et traitées par des magistrats spécialisés. Son travail va notamment déboucher sur le maxi-procès de Palerme en 1985 au cours duquel seront poursuivis 475 mafiosi.

En 1991 la « Direction nationale anti-mafia » (DNA), sous l’autorité d’un procureur national, est constituée au sein du parquet général de la Cour de cassation. Elle est chargée de coordonner les enquêtes relatives aux crimes mafieux déligentées par les procureurs des 26 directions départementales antimafia (DDA). Ces derniers travaillent en pool et sont appelés officiellement « procureurs anti-mafia »

En 2015, la DNA est devenue la DNAA car elle est aussi chargée de la lutte anti-terroriste.





Polices : la Direction des enquêtes anti-mafia

Sans porter préjudice aux compétences des différentes forces de police italiennes, en 1991, la « Direzione investigativa antimafia » (direction des enquêtes antimafia) ou DIA est mise en place. Il s’agit d’un service d’enquête spécialisé et multi-forces dépendant du ministère de l’Intérieur, composé de membres des services de police voire de personnel civil issu de la sécurité publique.

Ce service dispose d’une autonomie administrative et financière. Sur le plan organisationnel, sa structure est définie par décret. Son directeur est choisi à tour de rôle parmi les généraux et directeurs de la « Polizia di stato », du « Corpo dei carabinieri » et de la « Guardia di finanza » qui ont acquis une expérience en matière de criminalité organisée.

Le service central comprend sept bureaux et trois départements concernant les enquêtes préventives, les enquêtes judiciaires et les relations internationales à des fins d’enquête. Au niveau déconcentré se trouvent 12 centres opérationnels et 9 sections opérationnelles. Au total, son personnel est composé d’environ 1300 personnes.  

La DIA est chargée exclusivement de mener des enquêtes relatives aux crimes liés aux associations de type mafieux. A cet égard, elle est mobilisée par les parquets anti-mafia national et départementaux.

Son directeur peut proposer aux tribunaux compétents l’imposition de mesures préventives personnelles (comme la surveillance spéciale) et patrimoniales (saisie de biens).

 

Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er

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Pour en savoir plus :

Briquet JL, Italie, un système de pouvoir en procès,

sur : https://www.persee.fr/doc/criti_1290-7839_1999_num_3_1_1601

Direzione investigativa antimafia, 

sur  https://direzioneinvestigativaantimafia.interno.gov.it/ 

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