Les enjeux du travail policier à l’avenir

Plusieurs criminologues (Benoît Dupont et alii) de l’Université de Montréal ont analysé le travail policier dans une démarche prospective. Mettant au cœur de leur réflexion la transformation numérique, ils ont épinglé cinq éléments majeurs.

© Patrick Decorte

L’omniprésence numérique

Les nouvelles technologies, notamment de communication et d’information (NTIC), envahissent tous les aspects de la vie quotidienne à travers des objets devenus communs (GSM, objets connectés, …) et rendent les frontières étatiques poreuses.

Mais toutes les nouveautés constituent autant d’opportunités pour les criminels jamais à court d’imagination. Ils savent profiter des failles de sécurité et de la complexité de la technologie. Ceci représente autant de défis pour la police qui est amenée à s’adapter dans un contexte en perpétuel changement.

 

Les nouveaux défis pour la police : la lutte contre la radicalisation

Premièrement, les auteurs mettent en évidence les enjeux que constitue le phénomène de « radicalisation » pour la police, notamment lorsqu’il débouche sur l’extrémisme violent (djihadisme, mouvements d’extrême-droite, etc.), dans un contexte de rareté tant des savoirs sur le phénomène que des ressources (humaines, technologiques, etc.).

Tout particulièrement, il reste à mieux comprendre comment les groupes extrémistes agissent sur Internet et quel est l’impact des technologies sur d’éventuelles recrues. Il ne s’agit néanmoins qu’un des défis auxquels sont confrontés police et autres acteurs de la prévention et de la lutte contre la radicalisation.

Lorsque la lutte s’engage dans l’espace numérique - mais aussi dans une dimension physique -, elle sera efficace si elle s’organise en réseau, ce qui suppose que les partenaires (services de renseignements, services sociaux, police, etc.) se coordonnent et se fassent confiance afin de favoriser l’échange d’information.

Pour les auteurs, la police devrait avoir un rôle central en la matière car elle dispose d’une autorité légale lui conférant une position stratégique dans la coordination du réseau. Ainsi, elle pourrait persuader les autres acteurs à assumer leurs responsabilités spécifiques et « chorégraphier leurs ressources et leur rôle dans un réseau de lutte et de prévention de la radicalisation menant à la violence. »

 

La prévention de la cybercriminalité

Deuxièmement, la cybercriminalité prend une ampleur très importante dépassant largement les ressources et l’expertise policière disponibles, même si certaines unités spécialisées ont été créées.

Ne faudrait-il pas dès lors envisager de reconfigurer l’intervention policière eu égard au rôle de partenaires privés voire d’ONG dans la lutte contre la cybercriminalité ? En effet, il semble que la police, confrontée à l’extrême complexité technique du phénomène, à sa structure transnationale et à son manque de ressources, ne puisse aisément adapter son organisation et ses pratiques.

En outre, cela requiert une transformation structurelle, professionnelle et culturelle indispensable pour répondre au nombre exponentiel d’équipements et de données à analyser, aux renseignements à collecter, aux enquêtes à mener sur les cybercrimes, etc., allongeant les délais de traitement.

A cela s’ajoutent les difficultés de décrypter de nombreuses données et, lorsque cela s’avère possible, les institutions pénales sont écrasées par des masses de fichiers.

Il convient alors de réfléchir à la place de la police dans la prévention et la répression de la cybercriminalité, sur plusieurs plans : l’organisation à mettre en place, les compétences et les partenariats à développer. A défaut d’initiatives lourdes, la légitimité de la police sera mise en cause.

 

Le challenge de la productivité policière

Troisièmement, les auteurs mettent en évidence les nouvelles contraintes procédurales et ils rappellent que le travail policier est l’un des plus encadrés. Parallèlement, ils constatent une tendance à la « quantification de chaque facette du travail ».

Ils pointent alors quatre risques : « minimiser la complexité du travail policier, se focaliser sur le rendement plutôt que sur l’efficacité, dissuader les activités proactives, et encourager involontairement le profilage pour accélérer l’intervention policière. »

L’attention dont fait l’objet la police s’explique par les pouvoirs dont elle dispose et les responsabilités qui lui incombent. Les auteurs se demandent alors si le poids des responsabilités et la pression du rendement ne deviennent pas trop lourds pour les policiers dans un contexte où la recherche de la productivité policière optimale (= police efficace) risque de « tomber dans le piège de la recherche du risque zéro en matière de travail policier. »

 

L’omniprésence des réseaux sociaux

Quatrièmement, l’omniprésence des réseaux sociaux a des effets sur le travail policier. Ainsi les enquêteurs ont accès plus facilement à des données privées facilitant le renseignement criminel. En contrepartie, ces réseaux sociaux exposent aussi à une grande visibilité les policiers qui les utilisent à titre privé. En outre, leurs actions sont de plus en plus filmées et mises en ligne.

Les médias sociaux sont aussi un lieu où se propagent facilement des idéologies extrémistes, des propos haineux, etc., rendant le travail préventif policier plus complexe.

Notons néanmoins que les auteurs mentionnent les initiatives policières positives sur Twitter, Facebook et You Tube que ce soit dans un contexte judiciaire, de prévention ou d’urgence, contribuant ainsi à la police de proximité.



Le rôle des nouvelles technologies

Cinquièmement, les auteurs observent l’apparition des algorithmes dans le travail policier. A titre d’exemples, ils citent les pratiques de surveillance et de renseignement, le contrôle des flux de biens, de personnes ou financiers, et les possibilités en termes de police prédictive. Néanmoins, ils rappellent que les nouvelles technologies ne peuvent répondre aux attentes démesurées qu’elles suscitent.

Il reste aussi à considérer que ces technologies sont de nature à modifier les relations entre la police et les citoyens. Elles ont aussi des effets sur l’organisation policière en modifiant les modes de communication, en altérant la division du travail, en changeant les rôles de chacun dans les relations professionnelles, etc.

Pour en terminer, les auteurs considèrent que pour être rencontrés, ces changements devraient impliquer :

  • Des offres importantes de formation pour les policiers ;
  • Un positionnement de la police en tant que coordinateur d’un vaste réseau d’acteurs publics et privés.

 

Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er



Dupont B. at alii. « Rapport de recherche sur l’avenir du travail policier »,

https://www.fppm.qc.ca/medias/lettres/rapport-final-fppm.pdf

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