Les polices au Canada : entre autonomie locale et réalités fédérales

Les logiques policières canadiennes reflètent des choix d’organisation contrastés entre centralisation et autonomie locale. Le système policier de cet État fédéral est protéiforme, complexe, différent selon les provinces.

 

Depuis l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique de 1867 qui fonda le dominion du Canada, 29 domaines de compétences sont reconnus au gouvernement fédéral. Parmi ceux-ci, les « lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement ». Les 10 provinces sont quant-à-elles, compétentes pour l’administration de la justice et des institutions qui en dépendent. Ainsi, si le Code Criminel est de la responsabilité fédérale, chaque province est d’une part compétente pour organiser les polices chargées de son application et d’autre part, responsable du Code civil qui y est en vigueur. Troisième niveau de pouvoir, les municipalités ont un pouvoir réglementaire sur leur territoire dans ce qui touche à leurs domaines d’action.

 

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Des acteurs policiers multiples

Selon les critères que l’on considère, il découle de ce postulat toujours en vigueur, la coexistence de six types de police dans le pays : des polices spécialisées nationales (par exemple, l’Agence des services frontaliers du Canada) ; une police généraliste nationale (la Gendarmerie Royale du Canada, GRC), des polices spécifiques pour certaines communautés autochtones ; trois polices provinciales (Sureté du Québec, Police Provinciale de l’Ontario et Royal Newfoudland Constabulary dans les principales zones urbaines de Terre-Neuve Labrador) et des polices municipales. Enfin, il existe aussi au Canada des polices privées aux pouvoirs étendus (par exemple, les polices des compagnies ferroviaires).



Selon Statistiques Canada, cela représentait près de 68.000 policiers et environ 31.000 civils pour 31,5 millions d’habitants en 2019, soit un taux de présence de 182,8 policiers pour 100 000 habitants[1].



Comment articuler les polices dans un état fédéral ?

Relevant du ministère fédéral de la Sécurité publique, la GRC représente le corps de police le plus important du pays (environ 30.000 policiers et civils). Elle est selon la loi, la « force de police pour le Canada » : elle prend en charge l’application des lois fédérales, touchant notamment à de grands domaines de la criminalité (crime organisé, terrorisme), à la protection de la jeunesse, la gestion du registre national des armes à feu ou la protection des personnalités. Elle exerce ces compétences sur l’ensemble du pays. Elle fait aussi office de bureau Interpol pour le Canada. Mais la GRC exerce aussi par voie contractuelle les fonctions de police provinciale (circulation, patrouilles, enquêtes judiciaires) là où il n’existe pas de corps policier provincial spécifique. Cela concerne l’ensemble du Canada, à l’exception de l’Ontario, du Québec[2] et de Terre-Neuve.

Le niveau provincial de police s’exerce dans certains domaines de la sécurité et lorsqu’il n’existe pas de polices municipales. Au Québec, dépendant du ministère québécois de la Sûreté publique, la Sûreté est composée d’environ 8.300 hommes et femmes, les effectifs de la police provinciale en Ontario sont légèrement supérieurs. Moyennant finances, un système de contractualisation offre aux municipalités de faire appel aux polices provinciales lorsqu’elles ne peuvent ou ne sont pas capables d’entretenir des polices locales, à même de répondre aux critères minimaux de service fixés par le législateur. Au Québec, le type de service qu’un corps de police doit pouvoir offrir dépend de la population de la municipalité[3].

La question policière est donc d’abord et avant tout une question locale. Son organisation est entre les mains des conseils municipaux ou de conseils de police. Certaines polices municipales peuvent être particulièrement développées. Le Service de Police de la ville de Montréal compte plus de 4 500 agents en uniforme : ils sont environ 700 dans la ville de Québec. Habituellement, deux fonctions principales s’y retrouvent, à côté de fonctions plus spécialisées : la patrouille et l’enquête (fonction de gendarmerie et de sûreté en français du Québec). Si nécessaire, les polices provinciales fournissent des renforts ou des appuis spécifiques.

Enfin, les services de police des premières nations sont régis par le PSPPN (Programme des services de police des Premières nations), dépendant du gouvernement fédéral. Selon les cas et les ententes, les services de police spécialisés disposent de l’aide de la GRC ou des polices provinciales.



Conclusions

Ce rapide tour d’horizon démontre les spécificités du fédéralisme policier canadien. Celui-ci se construit entre logiques fédérales et fédérées, tenant également compte de la situation particulière des Premières nations dans le pays. Il s’inscrit ensuite dans les logiques géographiques du territoire, caractérisé à la fois par sa superficie et par la présence d’une seule frontière terrestre, avec les États-Unis.



Le fédéralisme policier canadien est également marqué par ses logiques de substitution contractualisée, permettant d’assurer l’exercice de la police sur tout le territoire et de coordonner les compétences et domaines d’intervention au sein d’une système pluriel. Enfin, la police au Canada est hybridée et marquée par son histoire : son point d’équilibre, entre logiques centralisatrices/locales et entre polices spécialisées/générales, reflète des influences anglaises, françaises mais aussi américaines, avec qui les échanges sont aussi anciens que nombreux.



Article suivant : Que peuvent nous apprendre les débats sur la police au Québec?



Justin CHAUVETTE

Étudiant en histoire et assistant de recherches,

Chaire de recherches en histoire transnationale de la Sécurité publique, Université du Québec à Trois-Rivières

Jonas CAMPION

Docteur en histoire, UCL Louvain – Paris IV Sorbonne

Professeur en histoire, Université du Québec à Trois-Rivières



Pour en savoir plus : Benoît Dupont et Émile Pérez, Les polices au Québec, Paris, 2011, coll. Que sais-je ? N°3768. 

[1] Les pages consacrées à la police sur le portail internet de Statistiques Canada sont un modèle du genre sur l’évolution des principaux indicateurs. Voir

https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/tv.action?pid=3510007601.

 

[2] À noter qu’en accord avec la doctrine Gérin-Lajoie affirmant que la souveraineté du Québec s’étend également aux implications internationales des champs de compétences, la Sûreté du Québec mène une politique volontariste de coopération internationale.

 

[3] Au Québec, il existe 5 niveaux de service policier pour les municipalités, le 6e niveau étant celui de la Sûreté du Québec. Cette échelle est actuellement en cours de discussion, dans le cadre d’un projet de réforme de la loi sur la fonction de police.

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