L’interrogatoire d’un psychopathe : conseils pratiques

L’audition d’un psychopathe doit être préparée et menée de manière méthodique. Rompu dans l’art de manipuler ses interlocuteurs, le psychopathe profitera en effet de toutes les failles possibles ou les provoquera lui-même instinctivement.



Ce dernier article consacré aux personnalités psychopathiques fait suite à l’examen du concept de psychopathie et ses rapports avec la délinquance, des caractéristiques observables de comportement et langage chez les psychopathes enfin de la préparation de l’interrogatoire.

© Steve Closset

Les aspects plus pratiques de l’interrogatoire lui-même



Quelques recommandations :

  • l’enquêteur se présente de manière neutre, se montre calme et ouvert et ne porte pas d’accusations directes. Impassible, il évite de laisser transparaître ses émotions, ses frustrations, ses déceptions, son irritation, en sachant que certains psychopathes sont passés maîtres dans l’art de les provoquer. De même, il ne manifeste aucune satisfaction et encore moins aucune euphorie lorsqu’il démasque une faille dans le système de défense de son interlocuteur ;

     
  • il se place non pas face à son interlocuteur, mais plutôt de biais. Il faut savoir que pour le psychopathe en situation d’audition, le contact visuel est important ; il lui donne l’impression de contrôler la situation. Il ne s’agit pas pour l’enquêteur de fuir le regard de l’autre, ni de considérer cela comme un défi, une compétition entre les regards. Comme beaucoup de choses dans l’interrogatoire, c’est une question de «feeling» ;

     
  • il maintient une distance physique et sociale adéquate, évitant de rentrer dans la «bulle» de l’interviewé ; il est déjà difficile d’établir un contact favorable au dialogue avec un psychopathe, si l’on est trop proche physiquement, cela risque d’être pris pour une intrusion agressive de la part de l’enquêteur ;

     
  • il tient compte, en ce qui concerne le langage non verbal, qu'il est important d'observer si la gestuelle pendant l’interrogatoire et notamment au moment où des questions cruciales sont posées, est différente de celle pendant le temps qui précède celui-ci ;

     
  • il observe les attitudes corporelles rigides, le regard fixe et non pas fuyant, contrairement à ce qu’on pense souvent. C’est l’ensemble de ces éléments qui constitue des signaux révélateurs du mensonge ;

     
  • il ne moralise pas non plus, car le psychopathe ne connaît pas le sentiment de culpabilité ; insister sur la gravité du délit commis ne sert à rien. Par contre, il peut flatter son ego, mais non de manière ostentatoire ;

     
  • il fait promettre de dire la vérité (principe d’engagement) ; rompre cette promesse signifie pour le psychopathe reconnaître avoir menti, ce qui est aussi difficile que le mensonge en lui-même ;

     
  • il favorise le récit libre Racontez-moi toute l’histoire, laisse parler son interlocuteur, évite de l’interrompre, profite de ce moment pour l’observer attentivement ; si celui-ci cherche à gagner du temps et à «noyer le poisson» en s’écartant de l’objet de l’interrogatoire, l’enquêteur le laisse faire un certain temps, mais veille à rester centré sur le sujet et les renseignements susceptibles de constituer des éléments spécifiques de preuve, auquel cas il faut le recadrer. Il est impératif de ne pas laisser le psychopathe polluer la conversation par des éléments totalement étrangers à l’affaire ;

     
  • il pose ensuite de préférence des questions ouvertes de manière à générer davantage d’indicateurs que les simples réponses par oui ou non ;

     
  • il est attentif à la «surcharge cognitive» : nous avons déjà dit que le psychopathe ment avec désinvolture mais il lui est difficile de persister dans ses mensonges sans courir le risque de se contredire. Inventer une histoire requiert de la réflexion et de la mémoire, mentir exige de gros efforts et place le cerveau en surcharge cognitive ;

     
  • il reste à l’affût des changements du discours, des hésitations, du ralentissement du débit verbal, qui sont très révélateurs ;

     
  • il pose des questions inattendues : elles provoquent des hésitations, le ralentissement du débit, etc., si la réponse n’a pas été planifiée et mémorisée. Le cerveau doit alors travailler fort, et cela paraît difficile et fatigant ;

     
  • il pratique l’art de la paraphrase ; répéter avec d’autres mots ce que le psychopathe vient de dire, lui donne l’impression que l’on est d’accord avec lui ;

     
  • il n’abat pas ses cartes d’emblée, mais progressivement, au fil de la conversation. Il s’agit de confronter la version des faits telle que fournie par le psychopathe, aux éléments probants dont on dispose, de manière à le mettre face à ses contradictions ;

     
  • il ne doit pas à tout prix chercher à obtenir des aveux, le psychopathe étant réfractaire à toute forme de culpabilité ; l’important est de se concentrer sur tout ce qui est de nature à corroborer les éléments de preuves matérielles et/ou testimoniales ou d’en trouver d’autres. Des aveux, c’est bien, mais ce n’est pas tout et ce n’est pas suffisant.

     

Une question intéressante qui peut surprendre le sujet : Je peux comprendre que vous ne voulez pas me dire pourquoi vous avez fait cela, mais j’aimerais savoir pourquoi vous ne voulez pas me le dire.





En conclusion, nous dirons que l’interrogatoire d’un psychopathe ne s’improvise pas mais demande une grande maîtrise de soi, du flair, du tact, de la flexibilité, de la préparation. Il n’y a pas de recette qui marche à tous les coups, d’autant plus qu’il y a une grande variété de psychopathes. Rappelons que le psychopathe n’est ni un dément, ni un débile, ni un faible d’esprit : son intelligence est normale, parfois même supérieure à la moyenne. Affronter ce genre de personnage suppose une longue expérience et un travail sur soi ; il faut être à l’écoute de soi pour pouvoir être à l’écoute des autres et être un interrogateur de talent.

 

Jean-Paul WUYTS

Commissaire divisionnaire er

Licencié en criminologie et psychologie

Auteur du site Psycripol



Les articles :

La psychopathie et ses rapports avec la délinquance (1)

Quelles indications dans le comportement et le langage d’un psychopathe ? (2)

Dans quelles conditions interroger un psychopathe ? (3)

L’interrogatoire d’un psychopathe : conseils pratiques (4)




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