Enfants, témoins de violences conjugales : plus que des dommages collatéraux !

La violence conjugale touche près d’une femme sur quatre, moins connu est le traumatisme subi par l'enfant en raison du climat de violence perpétuelle dont il est le témoin : que peut faire le professionnel ?

 

On estime selon les études de 40% à 80-90% le nombre d’enfants qui sont témoins de violences entre partenaires. Dans 61%, il s’agit d’exposition à des situations de violences physiques.

La maltraitance des enfants liée aux situations de violences conjugales peut être directe, l’enfant étant personnellement l’objet de comportements violents volontaires ou non de la part de l’un des parents ou des deux. Elle peut aussi être indirecte lorsqu’il est témoin de la violence subie le plus souvent par la mère. 



On peut observer trois grandes catégories de manifestations. Tout d’abord une anesthésie émotionnelle, un engourdissement psychique qui peut apparaître comme une forme d’adaptation et de tentative de neutralisation du contexte de violence au sein de la famille. Ensuite, diverses régressions développementales et comportementales peuvent se manifester. Enfin, il existe souvent un sentiment général d’impuissance et de perte d’avenir associé à une image de soi détériorée.

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Quel impact sur le comportement de l'enfant ?



Les manifestations symptomatiques de cette forme de maltraitance ne sont pas spécifiques et peuvent être rencontrées dans d’autres types de violences subies durant l’enfance. Cependant, compte tenu du cadre particulier dans lequel prend place cette violence, l’impact sur le développement de l’enfant est souvent très important dans la mesure où la violence conjugale interfère avec le développement psychoaffectif de l’enfant. Les réactions observées varient selon l’âge et les capacités de compréhension des enfants. De même, le risque de victimisation directe varie d’une période de l’enfance à l’autre.



Ainsi, en raison de sa dépendance à ses parents pour ses besoins primaires, l’enfant en bas âge risque peut-être davantage de subir la violence associée à la frustration qu’il engendre dans le contexte de crise du couple. Mais à tous les stades de la vie, cette situation compromet le développement en empêchant la construction de liens sécures entre l’enfant et ses parents. Dépourvu de la capacité de mettre en mots cette souffrance pour les plus jeunes, les manifestations de la souffrance psychique sont néanmoins régulièrement visibles immédiatement au travers de ses comportements mais peuvent aussi rester invisibles, l’enfant étant étrangement distant par rapport aux conflits, avant de ressurgir à l’adolescence ou l’âge adulte. Mais à tous les stades de la vie, cette situation compromet le développement et empêche la construction de liens sécures entre l’enfant pris dans des conflits de loyauté et ses parents.



En effet, en tant que modèles préférentiels d’identification et d’attachement, la violence exprimée au sein du couple conjugal touche aux fondements même du lien affectif. La violence peut affecter la qualité des relations entre l’enfant et sa mère et fragiliser l’enfant dans sa capacité future à construire des relations épanouies. On observe, par exemple, entre dix et dix-sept fois plus de séquelles affectives parmi ces enfants. Il s’agit principalement de troubles de l’attachement qui se manifestent par une sensibilité à la séparation, une instabilité relationnelle et affective, des attitudes de manques affectifs et d’abandon. Ces pathologies du lien peuvent être associées à des troubles du comportement (colère, agressivité, hyperactivité), une problématique anxieuse ou dépressive ou des troubles psychosomatiques.





Parallèlement, surtout chez les plus grands enfants et les adolescents, cette victimisation peut induire des prises de rôles dysfonctionnels et des représentations erronées à propos des relations interpersonnelles. Il est fréquent d’observer des attitudes de loyauté, de protection, de confident, ou de «petit parent» tant à l’égard du parent victime que du reste de la fratrie. Ces attitudes peuvent engendrer une culpabilité, une honte et un sentiment d’incompétence et d’impuissance caractéristiques de l’ « enfant-sauveur », face aux capacités limitées de l’enfant à protéger le parent victime. A l’inverse, il peut aussi exister une identification à l’auteur qui peut conduire à de la violence ou du harcèlement envers le parent victime.



Quant aux représentations construites au fil de nos apprentissages, le risque de cette exposition à la violence adulte se situe au niveau de la perpétuation du modèle parental d’agression-victimisation tant chez le petit garçon que la petite fille en renforçant la perception inégalitaire des relations et la légitimité du recours à l’agression comme mode préférentiel d’interaction. A titre d’exemple, le risque pour l’enfant témoin d’être par la suite à son tour victime de violences conjugales est multiplié par trois. 





Les bonnes réactions et pratiques



Face à ces situations, la première préoccupation du professionnel doit être de sécuriser l’enfant. Il est utile psychologiquement de lui permettre de se sentir écouté sans qu’il ne se sente jugé ou remis en question dans l’expression de sa souffrance. Il pourra être nécessaire de le déculpabiliser s’il se sent responsable des violences dont il a été le témoin. Il faudra parfois aussi lui ôter un sentiment de honte ou de gène à propos de ses parents.



Il sera tout aussi nécessaire de garantir la protection de son intégrité physique. Pour cela, on interrogera l’enfant afin d’identifier d’éventuelles maltraitances dont il aurait directement fait l’objet et on procèdera à un examen visuel d’éventuelles traces de violences. Mais pour l’ensemble des situations, la prudence est de mise. Il est indispensable d’analyser les risques pour l’enfant à rester dans sa famille avant d’envisager des interventions intempestives et radicales telles qu’un placement ou un éloignement prématuré qui peuvent engendrer une victimisation plus importante encore que celle déjà subie.



Les professionnels préféreront une analyse du réseau d’intervenants susceptibles d’accompagner la famille et, le cas échéant, de donner l’alerte. Ils proposeront éventuellement une aide supplémentaire notamment sous la forme d’un travail avec la mère qui bien souvent n’a qu’une conscience approximative de la souffrance de son enfant étant elle-même aux prises avec la violence de son conjoint.







Serge GARCET

Professeur, Service de victimologie, criminologie interpersonnelle et criminologie animale, Département de Criminologie, ULiège.

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