Comparer des taux de récidive : la fausse bonne idée ?

Les chiffres relevés dans la presse concernant la récidive doivent-ils être pris pour argent comptant ? Comparer les taux de récidive est-il pertinent ? Levons certains pièges susceptibles de biaiser l'interprétation des chiffres régulièrement médiatisés.

© SPF Justice - FOD Justitie

La difficulté d’interpréter correctement les taux de récidive 

 

La récidive[1]  désigne communément l’attitude d’une personne qui ‘revient à’, qui ‘retombe dans’ un comportement infractionnel alors que celle-ci est connue pour avoir commis une infraction antérieure pour laquelle elle a été sanctionnée[2]. Cette thématique continue de susciter beaucoup d’émotion et d’interrogation dans l’opinion publique, les médias ou encore auprès de nos représentants politiques. D’où l’importance de pouvoir interpréter correctement la portée comme les limites des chiffres qui, à l’appui d’un argumentaire ou d’une démonstration, sont régulièrement mis en avant dans la presse.

 

A titre d’exemple, on pouvait lire il y a quelque temps dans La Libre Belgique : « […] 48,2%. C’est le taux de récidive moyen en Belgique. Visiblement, nous ne sommes pas encore parvenus à trouver la solution optimale. Prenons donc l’exemple de deux pays dont le modèle carcéral est aux antipodes l’un de l’autre : les États-Unis et la Norvège. Les États-Unis, connus pour leur système carcéral ultra-répressif et leur incarcération de masse, accusent un taux de récidive de 80%. La Norvège, elle, peut fièrement arborer un taux de récidive de 20%. La différence entre les deux systèmes ? Un mot : l’Humanité » [3].



Trois remarques peuvent être formulées par rapport à ce court extrait exemplatif. Ces remarques correspondent à trois constats fréquemment observés lorsque des chiffres sur la récidive sont médiatisés. Tout d’abord, les chiffres ne sont pas ou peu contextualisés. On ne sait pas nécessairement à quoi ils réfèrent précisément, s’ils sont représentatifs, ni comment ils ont été produits. Ensuite, la notion de récidive, elle-même, reste rarement questionnée comme si elle allait de soi et que tout le monde savait pertinemment de quoi il s’agissait. Or, le terme est équivoque et peut couvrir des réalités fort différentes. Enfin, la comparaison avec d'autres pays – principalement scandinaves – est souvent évoquée, pour conclure que notre pays n’est pas un bon élève en matière d’administration de la justice pénale.





Les éléments à considérer pour apprécier la portée et les limites des chiffres sur la récidive 



Pour bien comprendre et interpréter la portée et les limites des chiffres sur la récidive, il importe de clarifier trois composantes essentielles : le groupe de personnes susceptibles de récidiver (cohorte), la mesure de la récidive et la période pendant laquelle la récidive va être observée (période de suivi).

Pour déterminer la nature de la cohorte, il faut décider quelle est la catégorie d’auteurs d’infraction considérée (qui sont susceptibles ou non de récidiver). S’agit-il de personnes condamnées pour des faits de mœurs, de personnes condamnées à une peine d’emprisonnement et ensuite libérées, de personnes poursuivies devant un tribunal de police, etc. ?

Le choix de la mesure de récidive dépend de la manière dont on définit la récidive (e.g., comme une nouvelle arrestation ou une nouvelle condamnation). La période de suivi de la personne quant à elle peut être plus ou moins longue et répond à la question : quand commence-t-on à observer si oui ou non la personne récidive et quand arrête-t-on cette observation ? Les choix opérés au niveau de ces trois composantes influenceront grandement les résultats ainsi que leur interprétation.





Démonstration : les taux de récidive belge et scandinave moins dissemblables qu’ils n'y paraissent à première vue !



Si nous gardons à l'esprit ces éléments, que pouvons-nous penser de l'extrait d’article paru dans La Libre Belgique ? Celui-ci indiquait notamment que 48,2% était le taux de récidive moyen en Belgique alors qu'il ne serait que de 20% en Norvège. Cette déclaration est-elle basée sur des chiffres fiables ? Pour ce faire, prenons tout d’abord les deux études norvégiennes dont est probablement issu ce pourcentage de 20%. Kristoffersen constate en effet un taux de récidive de 20% en Norvège pour les personnes condamnées qui ont été libérées de prison en 2005 et suivies pendant deux ans. Dans ses recherches, la récidive signifie une nouvelle condamnation à des peines et mesures dans la communauté ou à l'emprisonnement. Andersen et Skardhamar observent quant à eux dans leur étude que 22,5% des anciens détenus en Norvège libérés en 2005 sont à nouveau condamnés à une peine de prison effective après deux ans. On observera que les deux études diffèrent dans la composition de la cohorte et dans la définition de la récidive.



Pour la Belgique, le manque de contextualisation et de précision relatives au chiffre de 48,2% avancé est en soi déjà problématique. A quoi réfère-t-il ? A priori aux données nationales sur les anciens détenus. A cet égard, l’étude menée par l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie montre que 44,1% de tous les anciens détenus condamnés, libérés entre 2003 et 2005, sont retournés en prison dans un délai maximum de 8,5 ans[4]. Si la durée de la période de suivi est limitée à 2 ans, la réincarcération est de 21%.

Le raccourcissement de la période de suivi pour les anciens détenus (condamnés) en Belgique permet immédiatement de relativiser le taux de 20% (ou 22,5%) de récidive observé en Norvège. Les chiffres sont-ils pour autant comparables ? Non, ici aussi la comparaison est imparfaite, car les définitions opérationnelles de la mesure de la récidive (nouvelle condamnation contre réincarcération) diffèrent les unes des autres. Mais tout à coup, les différences de points de pourcentage initialement observées ne se comptent plus par dizaines et l’exceptionnalisme scandinave fait moins rêver...





Benjamin MINE, Chercheur/Chef de travaux, Département de Criminologie,

Eric MAES, Chercheur/Chef de travaux, Département de Criminologie,

Luc ROBERT, Chercheur postdoctoral, IRCP, UGent & chercheur invité,



Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC), Service Public Fédéral (SPF) Justice.



Sources :

ANDERSEN, S.N. et SKARDHAMAR, T., Pick a Number: Mapping Recidivism Measures and Their Consequences. Crime & Delinquency, n° 5, 2017, p. 613-635.

KRISTOFFERSEN, R., Relapse study in the correctional services of the Nordic countries. Key results and perspectives, EuroVista, 2013, n° 3, p. 168-176.

MAES, E., ROBERT, L., MINE, B., Etat des lieux des travaux criminologiques sur la récidive en Belgique, in B. MINE, La récidive et les carrières criminelles en Belgique, Col. Les Cahiers du Groupe d'Études sur les Politiques de Sécurité, Politeia, Bruxelles, 2021, pp. 55-88.

 

[1] Cet article est pour partie une version synthétique et adaptée de la section 3 du chapitre MAES, E., ROBERT, L., MINE, B., Etat des lieux des travaux criminologiques sur la récidive en Belgique, in B. MINE, La récidive et les carrières criminelles en Belgique, Col. Les Cahiers du Groupe d'Études sur les Politiques de Sécurité, Politeia, Bruxelles, 2021, pp. 55-88.

 

[2] D’un point de vue strictement juridique, elle réfère aux cas de figure prévus par le Code pénal, on parlera alors de récidive légale. Voir à ce propos l’article de BOTTAMEDI, C., Quand est-on en état de récidive légal ?, Secunews, 10 juin 2021.

 

[3] JACQUEMIN, M., Benjamin Herman ou l’incarnation d’un système carcéral défaillant, La Libre Belgique, 1er juin 2018. Pour d’autres exemples similaires, voir De Standaard du 11 mai 2016 ou la rubrique Factchecker de l'hebdomadaire Knack du 7 juin 2017.

 

[4] Le taux de 48,2% semble plutôt correspondre, non pas au taux de réincarcération moyen (pour les libérés entre 2003 et 2005), mais au taux de réincarcération des personnes libérées en 2003, soit entre leur libération en 2003 et le 8 août 2011 qui correspond à la fin de la période de suivi. Voir ROBERT, L. et MAES, E., Wederopsluiting na vrijlating uit de gevangenis, Rapport de recherche, Bruxelles, INCC, 2012.

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