Salles de consommation à moindre risque : quelle efficacité ?

Depuis une trentaine d’années, des salles de consommation à moindre risque (SCMR) se développent en Europe et en Amérique du Nord dans le but de réduire les risques liés à l’usage de drogues. Quels sont leurs objectifs et les preuves de leur efficacité ?

© Isabelle Demaret

Les SCMR : principes et objectifs



Les SCMR s’inscrivent dans un modèle pragmatique de santé publique (la Réduction des Risques) qui participe à améliorer l’état de santé des usagers et usagères de drogues, tout en réduisant les dommages pour la population générale et la société.

Ce sont « des lieux reconnus légalement, offrant un environnement hygiéniquement sûr, où des individus peuvent consommer les drogues qu’ils ont obtenues préalablement, sans jugement moral, et sous la supervision d’un personnel qualifié »[1]. Elles mettent à disposition du matériel neuf et stérile de consommation ainsi qu’un lieu de consommation sûr et supervisé qui limite les risques d’overdose mortelle. Elles proposent également un accompagnement psycho-médico-social aux usagers. La population cible des SCMR sont les usagers de drogues illicites à hauts risques de morbidité/mortalité, en particulier les usagers par injection et ceux qui consomment dans la rue.



Les SCMR poursuivent ainsi plusieurs objectifs :

  • Créer du lien avec des usagers généralement peu en contact avec les structures d’aide et de soin, et répondre à leurs besoins et problèmes ;

     
  • Réduire les risques sanitaires : les risques de transmission d’infections (VIH, hépatites, infections bactériennes), les problèmes de morbidité et de mortalité liés aux overdoses, et l’ensemble des dommages liés à l’usage de drogues dans des environnements non hygiéniques ;

     
  • Réduire les nuisances publiques liées à l’usage de drogues et le sentiment d’insécurité en diminuant la présence de « scènes ouvertes » et autres formes de consommation dans l’espace public ; diminuer la présence de seringues, aiguilles usagées et autres résidus de consommation sur la voie publique, de même que d’autres problèmes d’ordre public (par exemple, les conflits entre usagers, dealers, policiers et/ou habitants du quartier). 

     

Quelles sont les preuves de leur efficacité ?



Des preuves scientifiques substantielles de l’efficacité des SCMR tant sur le plan individuel que social se sont accumulées au cours des trente dernières années, et ce, dans plusieurs pays d’Europe[2] et d’Amérique du Nord. Elles montrent des effets positifs auprès des usagers et de la population générale, d’autant plus lorsqu’elles sont intégrées à un ensemble de dispositifs d’accompagnement social[3] :

  • Réduction significative des accidents par overdose, des problèmes liés à l’échange de seringues usagées (maladies infectieuses) et des blessures post-injection (abcès, infections bactériennes ...) ;
  • Absence d’augmentation du nombre d’usagers de drogue et maintien du taux de rechute au sein des anciens usagers ;
  • Point d’entrée vers les services de soins et autres services sociaux pour usagers (réinsertion) ;
  • Réduction des déchets liés à l’injection dans l’espace public ;
  • Absence d’augmentation de la criminalité associée à l’usage de drogue ;
  • Réduction des nuisances publiques.

Les différentes évaluations des SCMR australiennes et françaises rapportent un coût-efficacité positif, leur fonctionnement permettant notamment de réduire les coûts liés à la mortalité, aux abcès, aux infections au VIH et aux hépatites B et C, sans rapporter néanmoins les bénéfices sur la santé mentale, la réduction des actes de délinquance, etc. Voir Vander Laenen et al (2017) et INSERM (2021). Salles de consommation à moindre risque en France : rapport scientifique. Institut national de la santé et de la recherche médicale.

 

Såf Ti : une SCMR à Liège[4]

La SCMR Såf Ti a ouvert à Liège en septembre 2018. En date du 31 décembre 2019, elle comptabilisait 571 inscrits (81% d’hommes et 19% de femmes), pour une moyenne de 50 passages journaliers au cours desquels plus de 20.500 actes de consommation ont pu être supervisés (environ 60% d’inhalation et 40% d’injection). L’héroïne représente le produit le plus consommé (environ 70% des consommations), suivi par la cocaïne (29%). Sur cette période, la SCMR de Liège a mis à disposition des usagers près de 14.000 seringues stériles et a dispensé plus de 2.300 conseils de réduction des risques.

La SCMR liégeoise réussit à créer un lien avec une population d’usagers à risque et contribue à réduire les risques sanitaires et d’overdoses mortelles : de fait, seuls trois cas d’overdoses ayant nécessité une réanimation ont eu lieu, et la salle a pu assurer 31 transferts par ambulance vers les hôpitaux. Enfin, Såf Ti participe à stabiliser et améliorer l’état de santé des usagers : près de 350 consultations médicales, plus de 1.500 soins infirmiers, 491 entretiens thérapeutiques, 300 suivis médico-sanitaires et 386 orientations sociales.



Pérenniser les dispositifs de réduction des risques



Les SCMR sont devenus, dans les Etats qui les pratiquent depuis des années, des dispositifs indispensables à une approche globale et intégrée de la problématique « drogues ». Elles participent à la réduction des risques sanitaires et sociaux, ainsi qu’à la (ré)insertion sociale d’usagers souvent marginalisés et à la création d’un réseau d’aide et d’accompagnement autour d’eux.

Il s’avère cependant nécessaire d’implanter un cadre légal et juridique suffisant pour garantir aux travailleurs sociaux et médecins, l’exercice de leur profession au sein des SCMR. En Belgique, le cadre légal actuel n’étant pas favorable à l’implantation pérenne des SCMR (notamment à cause de la loi de 1921), leur mise en place est conditionnée au soutien politique d’entités compétentes en matière de santé et de réduction des risques, et à un accord de non-poursuite avec les parquets compétents.

La mise en place durable d’une SCMR requiert également un financement adéquat et le soutien des riverains. Il est nécessaire d’impulser des concertations locales, à la fois avec les riverains, les associations, les autorités locales et les usagers concernés, notamment afin de prévenir tout problème lié au vivre ensemble.

Enfin, les SCMR doivent s’inscrire dans un ensemble de programmes de prévention et de réduction des risques qui participent, conjointement à leur efficacité respective, à remplir leurs objectifs de santé publique. Il s’agit notamment des dispositifs d’information et formation des usagers, d’échange de matériel stérile d’injection (seringue, aiguille, matériel connexe d’injection), de testing des drogues, d’accès à la naloxone (antagoniste aux opiacés), de prévention par les pairs usagers, d’accès au logement ou encore de maraude[5]. Mais ces programmes ne bénéficient pas toujours de moyens financiers et humains et de stabilité suffisants pour remplir leurs missions. 



Clémentine STEVENOT

Chargée de projets scientifiques auprès de Eurotox 

 

[1] Vander Laenen F., De Ruyver B, Decorte, T. Nicaise, P., De Maeyer, J., Smith P., van Puyenbroek L., et Favril L., (2017) Etude de faisabilité des salles de consommation de drogues à moindre risque en Belgique (DRUGROOM) : résumé. Bruxelles : Politique scientifique fédérale

 

[2] L’Europe compte 90 SCMR officielles dans 8 pays : au Danemark, en Norvège, au Luxembourg, en Espagne, en Suisse, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas.

 

[3] Voir notamment Vander Laenen et al, 2017 ; Noël, L, & Gagnon, F., Bédard, A., & Dubé, E. (2009). Avis sur la pertinence des services d’injection supervisée. Analyse critique de la littérature. Institut National de Santé Publique du Québec : Québec ; l’évaluation de la SCMR de Strasbourg, par l’INSERM (2021).

 

[4] Fondation Privée Tadam (2020). Rapport d’activités de la SCMR de la ville de Liège 09/2018-12/2019.

 

[5] Voir, pour davantage de développement au sujet des dispositifs de réduction des risques et de leur efficacité, le livret Bonnes pratiques en réduction des risques d’Eurotox asbl.

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