Quelle influence la police a-t-elle sur la criminalité ?

La police met en œuvre de nombreuses initiatives afin de lutter contre la criminalité. Analyser leur efficacité est d’autant plus nécessaire que nous connaissons une crise économique lourde qui accroit la rareté des ressources.   

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Une revue des recherches

Les interrogations sur la capacité de la police à diminuer la criminalité ne sont pas neuves. Elles ont agité nombre de criminologues et de sociologues, surtout dans des pays anglo-saxons.

On ne peut aborder le sujet sans rappeler la célèbre recherche menée à Kansas city en 1972 durant une année. Déployant des moyens importants, leurs initiateurs ont évalué les effets des patrouilles en divisant le territoire en quinze zones sur lesquelles ont été répartis aléatoirement les effectifs, selon les modalités suivantes :

  • Dans cinq zones, le niveau des patrouilles est resté inchangé ;
  • Dans cinq autres zones, deux à trois fois plus de patrouilles qu’habituellement ont été effectuées ;
  • Dans les cinq dernières, elles ont été supprimées et la police s’est contentée de répondre aux appels.

De manière surprenante, aucune différence statistique significative n’a été observée à la suite de la mise en œuvre de ces différentes modalités en ce qui concerne les taux de criminalité.

On notera que d’autres recherches ont confirmé ces résultats qui ont eux-mêmes été complétés par une autre observation, soit qu’une plus grande rapidité dans les réponses aux appels n’améliore pas les taux d’arrestation.

Deux éléments modèrent cependant ces résultats. D’abord, certaines recherches ont mis en évidence une diminution du nombre de délits si l’on concentre les moyens sur les « points noirs » de la criminalité, mis notamment en évidence par des logiciels de « géocriminalité » (ex : CompStat 2.0 utilisé par la police de New-York). Ensuite, il apparaît que les patrouilles pédestres sont de nature à diminuer le sentiment d’insécurité.

Plus récemment, une démarche très intéressante a été menée puisqu’elle propose un bilan des recherches (Sherman et Eck, 2002) sur l’efficacité des actions policières en pointant ce qui, selon celles-ci, diminue la criminalité et ce qui n’a pas d’influence sur la fréquence des délits. Ils les résument comme suit.

Ce qui fonctionne :

  • Les patrouilles concentrées sur les points chauds ;
  • Les dispositifs de « résolution de problème » lorsqu’il s’agit de s’intéresser à des questions circonscrites ;
  • Les programmes de lutte contre l’ivresse au volant concrétisés par une intensification des contrôles :
  • Les enquêtes intensives visant des délinquants multirécidivistes (augmentation des taux d’incarcération).

Ce qui ne fonctionne pas :

  • Une simple augmentation du nombre de policiers sur un territoire ;
  • Les patrouilles réparties sur tout un territoire sans concentration particulière ;
  • L’augmentation des taux d’élucidation des infractions sauf en ce qui concerne certains crimes (ex : faits selon un mode opératoire très particulier comme une manière spécifique de voler des véhicules) ;
  • L’arrestation des conjoints violents (pas ou peu d’impact sur leur récidive) ;
  • Une diminution des temps d’intervention (n’entraîne pas d’augmentation du nombre d’arrestations en flagrant délit).

De différentes recherches, menées notamment en France, il apparaît que la participation des citoyens a une influence positive sur les actions policières de lutte contre la criminalité. A cet égard, on soulignera l’importance de la police de proximité.

 

La complexité des évaluations

Il ne faut se tromper. La démarche évaluative n’est pas aisée et elle nécessite de la rigueur.

Il faut d’abord éviter de tirer des conclusions hâtives. Par exemple, on pourrait attribuer une diminution du nombre de vols (ce que l’on appelle la « variable dépendante » qui est étudiée) à des actions comme des patrouilles préventives (ce que l’on appelle les « variables indépendantes », soit les mesures testées). Il faut toutefois être prudent et ne pas négliger le fait que d’autres éléments étrangers aux actions policières peuvent expliquer cette diminution (ex : mesures préventives prises par le secteur privé comme la sécurisation de guichets).

On ne peut donc simplement mesurer un phénomène criminel avant et après la mise en œuvre de dispositifs policiers et tirer des conclusions. Et si l’on compare les effets d’un même dispositif initié sur différentes zones, encore faut-il être certain qu’il aura la même fréquence et les mêmes modalités.

Une évaluation a certainement plus d’intérêt quand elle intègre un groupe témoin (voir supra -recherche de Kansas City). Ainsi, l’efficacité des caméras de surveillance dans les stations de métro a été mesurée à Montréal en dotant certaines d'entre elles de caméras tandis que d’autres en étaient démunies (groupe témoin). Notons qu’elles n’ont pas eu d’effet sur les taux de criminalité.

Enfin, une démarche intégrant une distribution aléatoire tend à mieux valider les résultats. En matière de violence conjugale, la police a été amenée à prendre aléatoirement trois mesures différentes à la suite des appels : admonester l’auteur des faits, l’inviter à quitter les lieux ou l’arrêter brièvement. Cette dernière mesure a eu plus d’effet dans une première recherche mais ceci n’a pas été confirmé dans des enquêtes subséquentes.

On aura compris qu’avant de généraliser les résultats d’une recherche et de faire d’un dispositif un modèle, il faut s’assurer qu’une méthodologie rigoureuse a été appliquée. Il convient aussi qu’elle soit répliquée afin de savoir si les résultats seront les mêmes. Et dans ce cas, le contexte socioéconomique devra être semblable.

Sur le plan statistique, il est indispensable de disposer de suffisamment d’occurrences. On ne peut imaginer évaluer l’effet d’actions policières sur un phénomène qui ne serait matérialisé que par une dizaine de faits.

Pour intéressants que soient les résultats des travaux énoncés supra, gardons à l’esprit qu’ils ont été pour la plupart menés dans des pays anglosaxons qui dénotent des différences avec la Belgique, notamment en ce qui concerne les procédures et le système judiciaires.



Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er



Sources :

M. Cusson, B. Dupont et F. Lemieux, « Les évaluations de l’efficacité des interventions policières : résultats des synthèses systématiques », in Un traité de sécurité intérieur, Hurtubise Editors, 2007, pp 115-129.

Dupont Benoît, « Évaluer ce que fait la police : l’exemple australien », in Criminologie, vol. 36, no. 1, 2003, pp. 103-120, sur :

https://benoitdupont.openum.ca/files/sites/31/2015/07/Dupont-evaluerlapolice.pdf

 

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