Quelle efficacité de la vidéosurveillance pour les enquêtes judiciaires ?

La multiplication des caméras de vidéosurveillance, particulièrement sur la voie publique, s’accompagne de l’idée qu’elles participent proportionnellement à l’efficacité des enquêtes judiciaires. Une récente recherche pondère cette idée.

© Secunews

Un faible apport en matière judiciaire 

D’emblée, précisons que cette enquête menée par Guillaume Gormand et commandée par le Centre de recherche de l’école des officiers de la gendarmerie nationale française, confirme les résultats de précédentes études concluant à la faiblesse de l’apport de la vidéosurveillance en matière d’élucidation des infractions.

Dans le cadre de cette recherche, il a été observé que les enregistrements de vidéosurveillance ont participé à la résolution d’affaires dans des proportions faibles puisque cela représente 1,13% sur l’ensemble des enquêtes observées. Cette proportion monte à 5,87% si l’on ne sélectionne que les faits élucidés.

Elle a surtout documenté quatre ensembles d’infractions : violences aux personnes, atteintes aux véhicules, cambriolages et infractions à la législation sur les stupéfiants. Les vidéos ont apporté des preuves dans 6% des enquêtes élucidées en matière d’atteintes aux véhicules contre 2,8% en ce qui concerne les violences aux personnes.

Il est aussi précisé que 74% de l’ensemble de ces faits sont élucidés et 94,8% le sont sans vidéo.

L’étude a aussi fait apparaître qu’elle ne constituait pas une « ressource incontournable » pour les enquêteurs. Néanmoins, ils manifestent une plus grande propension – malgré tout encore faible - à l’utiliser lorsqu’il existe un « lien » entre eux et ce dispositif (ex : implication dans la détermination des « hot spot », accès facilité aux enregistrements, etc.).

Ce désintérêt relatif s’explique principalement par le fait que d’autres méthodes d’enquête sont privilégiées (ex : techniques et scientifiques) ou semblent suffisantes (témoignages lors d'agression). En outre l’on sait que l’exploitation de la vidéosurveillance est chronophage, ce qui est de nature à décourager les enquêteurs. D’autres recherches ont montré que le travail d’exploitation des images était considéré comme un « sale boulot », peu gratifié.

Dans le cadre de cette étude scientifique, l’auteur précise lui-même les limites de la recherche en ce sens qu’elle concerne un ensemble d’enquêtes menées dans une seule région et qu’elle se limite à quatre catégories d’infractions. Pour généraliser ses résultats, elle devrait être répliquée dans d’autres environnements et concerner d’autres infractions.

En termes de preuve, une étude (Elodie Lemaire) a aussi montré que les images ne parlent pas d’elles-mêmes et qu’elles peuvent donner lieu à interprétations selon la manière dont elles sont lues. Ainsi, efficacité de la procédure exige, les policiers ne mentionnent dans les procès-verbaux que les informations qu’ils jugent nécessaires à l’enquête - ce qui se comprend - offrant ainsi leur vision de la réalité, ce qui met l’accent sur certains éléments mais en ignore d’autres.   

Devant la justice, la force probante de la vidéo est variable et elle dépend souvent de l’existence d’autres éléments venant en confirmer le contenu. 

 

La plus-value de la vidéosurveillance 

Les résultats des différentes études relativisant notablement l’efficacité de la vidéosurveillance, on peut se demander ce qui justifie l’intérêt qu’elle suscite alors qu’elle engendre des coûts relativement lourds (de dizaines à des centaines de milliers d’euros).

Les études scientifiques menées en France apportent des éléments de réponses. Elles ne sont pas nécessairement transposables à toutes les situations mais elles ne manquent pas d’intérêt.

La prévention est souvent avancée en ce sens que les caméras auraient un effet dissuasif. Or, de nombreuses études scientifiques ont déjà démontré que ces effets sont faibles dans l’espace public. Autrement dit, la présence de caméras prévient peu la commission d’infractions.

Par contre, cet effet dissuasif est bien observé lorsque ce dispositif de surveillance est installé dans des lieux clos, notamment des parkings.

Ensuite, lors d’opérations de police, utilisée en direct et pour autant que l’information circule de manière optimale, elle constitue un outil particulièrement précieux sur les plans tactiques et opérationnels. A titre d’illustration, pensons notamment à la gestion de manifestations sur la voie publique et aux informations essentielles qu’elle procure au centre de commandement. A quels mouvements de foule est-on confronté ? Où disposer les effectifs et quels déplacements se justifient ?...

Elle permet aussi de filmer certaines scènes et les réactions suscitées, ce qui permettra de justifier ex-post les actions entreprises par les autorités.

Au niveau communal, elle peut aussi servir à démontrer que des actions sont menées pour rencontrer des problèmes d’insécurité. Cette décision est d’autant plus renforcée que la vision culturelle des nouvelles technologies tend à leur conférer une très grande efficacité, même si cela ne semble pas confirmé par la recherche scientifique. 



Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er



Sources : 

Gormand Guillaume (dir.), Evaluation de la contribution de la vidéosurveillance de la voie publique à l’élucidation des enquêtes judiciaires, sur :

https://www.lagazettedescommunes.com/telechargements/2021/12/synthese-detude-v1.pdf

Lemaire Elodie, L'œil sécuritaire. Mythes et réalités de la vidéosurveillance, Paris, La Découverte, coll. « L'envers des faits », 2019

®SECUNEWS

Étiquettes