Que révèle l’expertise judiciaire de fibres textiles ?

Les expertises scientifiques sont un des piliers de l’enquête judicaire. Là où les criminels sont aujourd’hui attentifs à ne plus laisser leurs empreintes ou leur ADN derrière eux, d’autres types de traces peuvent aussi les compromettre : c’est le cas des fibres textiles.

© NICC-INCC Lisa van Damme

Que sont les fibres textiles ?



Comme les briques sont utilisées pour construire un mur, les fibres textiles sont les matériaux de base utilisés pour fabriquer nos vêtements. Mais le parallèle s’arrête là, car contrairement aux briques, les fibres textiles ne sont pas visibles à l’œil nu et leurs dimensions sont généralement inférieures au millimètre : c’est pourquoi on parle de traces microscopiques ou de « microtraces » dans le jargon des expertises scientifiques.

Dans l’industrie textile, les fibres textiles sont assemblées et torsadées entre elles pour former du fil, lequel est mieux connu du grand public via les bobines de fil utilisables sur les machines à coudre ou les pelotes de laine pour le tricot. C’est à partir de ce fil que sont fabriqués les tissus et les tricots servant de base à la confection de nos vêtements.

Les fibres textiles peuvent nous venir de la nature ou être fabriquées par l’homme, il suffit de lire les étiquettes de nos vêtements pour obtenir une liste des matériaux présents sur le marché textile : coton, lin, laine, soie, polyester, nylon, acrylique, viscose, élasthanne… Les fibres textiles sont aussi la plupart du temps colorées, la diversité de couleur des vêtements s’observe tous les jours dans la rue ou dans les étalages des magasins.

C’est précisément la combinaison de l’analyse du matériau et de la couleur qui permet à notre laboratoire d’être très performant dans l’expertise des fibres textiles. 

 

Quel est le but d’une expertise de fibres textiles ?

Les séries policières illustrent souvent des experts qui prélèvent, à la pince, des morceaux de tissus ou de fils restés accrochés à une surface quelconque, comme une vitre brisée par exemple. L’expertise consiste alors à trouver le vêtement déchiré chez le suspect et à établir la correspondance. Ceci est tout à fait possible via une expertise textile, mais une expertise de fibres textiles va bien au-delà.

Le but d’une expertise de fibres textiles est de mettre en évidence des contacts entre des personnes (un suspect et la victime par exemple) ou entres des personnes et des objets (un suspect avec le siège d’un véhicule volé par exemple).

Il faut pour cela imaginer la surface de vos vêtements comme la pelouse de votre jardin, chaque brindille d’herbe étant une fibre textile. Lorsque vous vous couchez dans l’herbe de votre pelouse, vous vous relevez par la suite avec des brindilles d’herbe sur vos vêtements. C’est le même principe lors de contacts entre les vêtements du suspect et ceux de la victime : des fibres textiles provenant des vêtements de la victime se retrouvent sur ceux du suspect et inversement.

Plus les contacts seront intenses ou violents, plus cet échange sera grand. Par analogie, la quantité de brindilles d’herbes sur vos vêtements ne sera pas la même si vous vous allongez simplement dans votre pelouse ou si vous y rampez sur 200 mètres.





Comment travailler avec des traces microscopiques ?

Prélever des fibres textiles sur une scène de crime ou sur l’objet d’un délit revient à collecter des traces qui sont (pratiquement) invisibles à l’œil nu. Le meilleur outil est d’utiliser une méthode efficace et systématique pour prélever ce que notre œil n’est pas capable de voir.

La procédure en Belgique est d’utiliser des bandes autocollantes à l’aide desquelles on va recouvrir toute la surface du corps de la victime ou la surface des sièges d’une voiture par exemple. Ces bandes autocollantes sont ensuite récupérées et elles permettent de préserver les traces de fibres textiles, à l’abri des contaminations, jusqu’à leur expertise. Cette méthode permet de réaliser une véritable cartographie des traces sur le corps d’une victime ou sur les sièges d’une voiture.

L’expertise de fibres textiles se déroule par la suite dans notre laboratoire spécialisé qui, à l’aide de microscopes, va tenter de trouver les traces microscopiques de fibres textiles sur les bandes autocollantes. Le cas échéant, notre mission est alors de les analyser et de les comparer, en vue d’établir d’éventuelles correspondances avec les vêtements du suspect.

 

Dans quel cas recourir à une expertise de fibres textiles ?



L’expertise de fibres textiles est un travail minutieux qui prend du temps et, à l’heure actuelle, aucun processus automatisé fiable ne permet de l’accélérer. Le délai de ce type d’expertise varie d’un à plusieurs mois selon la complexité du dossier et le nombre de protagonistes impliqués. C’est pourquoi nous sommes principalement sollicités dans le cadre de faits graves comme des meurtres ou des délits violents avec atteinte aux personnes.

La plus-value des fibres textiles est de se prononcer, quand cela est possible, sur l’intensité des contacts criminels. Dans le cas d’un meurtre par exemple, l’expertise de fibres textiles via les bandes autocollantes appliquées sur le corps de la victime permettra de confronter la quantité et la localisation des traces aux éventuelles déclarations du suspect. En effet, un suspect pourra facilement justifier la présence de ses empreintes ou de son ADN sur une scène de crime par une visite de courtoisie chez la victime, mais il sera plus difficile pour lui de motiver la présence de fibres textiles correspondant à ses vêtements à des endroits clés sur le corps de la victime.

Dans le cas d’un véhicule volé puis utilisé plus tard pour un braquage, le suspect pourra justifier ses empreintes et son ADN dans le véhicule en admettant le vol du véhicule, mais la présence sur un des sièges de fibres textiles correspondant aux vêtements avec lesquels il est interpellé le jour des faits pourra aider à l’associer au braquage.



Laurent LEPOT

Docteur en sciences

Expert judiciaire, spécialiste fibres et textiles

Institut National de Criminalistique et de Criminologie (NICC-INCC)



Références :

Laurent Lepot, Les microtraces dans l’enquête criminelle, Forenseek 2022 sur 

https://www.forenseek.fr/les-microtraces-dans-enquete-criminelle/

Lepot et al., Trahi par ses vêtements : l’expertise de fibres textiles en criminalistique, L’actualité chimique, journal de la Société Chimique de France n°378-379 (2013) 35-40.

Lepot et De Wael, Expertise de fibres et de textiles, in : Manuel de l’enquête forensique, 2ème édition, Politeia, 457-476 : 

https://www.politeia.be/fr/publications/155058-manuel+de+lenquete+forensique+2eme+edition

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