"Marchands de sommeil", une réalité complexe 

Détecter et prévenir plutôt que seulement réprimer : la lutte contre les marchands de sommeil nécessite une approche globale. Les défis sont à la mesure des relations complexes entre auteurs et victimes et des difficultés d’enquêtes sur le terrain.

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Au travers de cinq articles consacrés au marchandage de sommeil, nous nous proposons d’analyser successivement les relations prédominantes entre propriétaires et locataires, le volet répressif, le rôle des différents acteurs impliqués dans la lutte contre ces abus, les bonnes pratiques locales et enfin, les indicateurs à connaître pour intervenir efficacement.

Entre propriétaire et locataire, une relation ambivalente

Les marchands de sommeil sont des propriétaires qui tirent profit de personnes vulnérables en leur louant des logements insalubres, surpeuplés et/ou dangereux, souvent à des prix exorbitants par rapport aux conditions de vie. Dans de nombreux cas, cette situation précaire s'accompagne d'autres problèmes tels que des intrusions dans la vie privée, des menaces voire des violences. 

Pour le marchand de sommeil, l'objectif est de maximiser son bénéfice en louant un bien immobilier permettant le logement d'une ou de plusieurs personnes tout en minimisant l'investissement. Il peut notamment subdiviser un bien en plusieurs unités, rogner sur l'aspect sécuritaire du bâtiment et/ou le confort de ses occupants. 

Du point de vue du locataire, il s’agit de pouvoir bénéficier notamment de besoins de base, tels que : disposer d’un toit, pouvoir se chauffer, être en sécurité, … Mais compte tenu des conditions de précarité dans lesquelles il vit, ses options sont plus que limitées. Les victimes sont en effet nombreuses, allant des personnes isolées ou âgées aux femmes avec ou sans enfants, en passant par les marginaux ou les personnes en situation de séjour illégal. 

La relation entre propriétaire et locataire est souvent ambivalente. Le locataire peut se sentir redevable vis-à-vis de son propriétaire, car ce dernier lui permet de se loger. Le locataire peut hésiter à dénoncer ses conditions de vie, soit par ignorance de ses droits, soit parce qu'il estime que c'est déjà mieux que rien ou craindre de se retrouver dans une situation encore pire, comme se retrouver dans la rue. La question de la norme est également complexe, car ce qui est insalubre pour certains ne l'est pas forcément pour d'autres publics habitués à ces situations ou venant de pays étrangers. 

Loyers compétitifs mais conditions de vie fragiles

L'ensemble des immeubles en bon état d'entretien ne correspond pas nécessairement à la demande de logements et certaines personnes peuvent, par ailleurs, être exclues des dispositifs sociaux mis en place pour pallier les carences en habitats. Les marchands de sommeil exploitent alors de manière lucrative le marché des logements précaires et insalubres. Ils ne se soucient ni de la vulnérabilité des locataires, ni des normes légales et n’ont aucune intention de rénover les bâtiments. 

Des loyers très attractifs peuvent constituer une offre intéressante pour des personnes en état de précarité mais il n’est pas rare que les enquêteurs découvrent des montants prohibitifs par rapport au logement (ex. 300€/mois pour une pièce aveugle de 7m²). De même, des propriétaires n’hésitent pas à adapter le loyer « à la tête du client », notamment s’il appartient à la même communauté.

Les règles liées à la sécurité incendie, la salubrité, la rénovation, etc., imposées aux propriétaires de logements exigent des travaux qui ont forcément leur incidence sur les prix des loyers. Le marchand de sommeil, quant à lui, s'affranchit de la plupart de ces règles, ce qui lui permet de proposer des loyers très compétitifs mais pour des logements en très mauvais état et dont les conditions de vie sont insalubres, voire dangereuses. 

Un défi pour les autorités locales

La lutte contre le marchandage de sommeil est compliquée : le phénomène est peu visible, les victimes ne déposent pas facilement plainte et lorsque c’est le cas, les enquêtes sont longues et complexes car elles requièrent une collaboration étroite entre les services de différentes administrations. Les descentes sur les lieux sont souvent des opérations de grande envergure et elles doivent être bien préparées et coordonnées. La jurisprudence est limitée, les marchands de sommeil sont quant à eux, bien organisés … 

Comment détecter systématiquement les situations abusives, sensibiliser les acteurs de première ligne et les services concernés, intervenir auprès des personnes vulnérables, de manière à dissuader les marchands de sommeil de louer des logements insalubres et insécures ?

La série d’articles :

"Marchands de sommeil", une réalité complexe  

Le marchandage de sommeil est une infraction pénale

Comment neutraliser les "Marchands de sommeil"

Bonnes pratiques contre le marchandage de sommeil

"Marchands de sommeil" : détecter les abus !



Kevin LIBIOUL

Coordinateur - Centre d’Information et d’Expertise d’Arrondissement

Police Fédérale - DCA Namur

Lire aussi :

Capelle, Charles. La répression des pratiques des marchands de sommeil : une législation porteuse d'injustices et d'incohérences ? Evolution, analyse et évaluation du régime applicable. Faculté de droit et de criminologie, Université catholique de Louvain, 2015. Prom. : Cesoni, Maria Luisa, sur : https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/fr/object/thesis%3A3545

Insalubrité, en finir avec l'impunité des bailleurs, sur : http://rbdh-bbrow.be/IMG/pdf/RBDH_insalubrite_FR_2022_03_15_web.pdf

®https://www.secunews.be/fr

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