Les matchs truqués : un phénomène d’ampleur

Quels types de rencontre sont touchés ?

Un nombre croissant d’enquêtes a mis en évidence que plusieurs disciplines sportives font l’objet de l’intérêt de malfaiteurs désireux de manipuler l’issue ou certains éléments du déroulement des rencontres sportives en lien avec des paris sportifs (match fixing, en anglais). Certaines de ces enquêtes sont diligentées par les autorités judiciaires mais les organisations sportives se dotent également de leurs propres services d’enquêtes, à l’instar de l’International Tennis Integrity Agency, aujourd’hui en charge de la prévention du dopage mais aussi des enquêtes (et, potentiellement, des sanctions) liées au match fixing dans le tennis.

Les soupçons comme les cas avérés de tricherie dans le tennis ont débuté au milieu des années 2000. Depuis lors, les joueurs sanctionnés d’amendes voire de suspensions de jouer, dont certaines à vie, se comptent par dizaines. La difficulté d’identifier les cas et, le cas échéant, d’établir les preuves fait cependant penser qu’il existe un important chiffre noir, d’autant plus que les possibilités de pari frauduleux sont multiples. Il est en effet possible de parier sur, ou de truquer, des éléments très précis d’un match – nombre de doubles fautes commises ou probabilité d’un tie-break, par exemple – et donc pas seulement le résultat final du match. En outre, les paris peuvent viser des tournois mineurs, bien loin de ceux du Grand Chelem, avec des joueurs méconnus, souvent dans des situations économiques précaires et donc plus vulnérables aux éventuelles sollicitations de fausser un match pour le profit de parieurs, dont certains « courtsiders », qui se rendent directement au bord des terrains et peuvent ainsi tenter d’infléchir en direct certains résultats (la pratique du « live betting »).

En Belgique, le parquet fédéral a déclaré que ses enquêtes touchaient au moins 7 pays (Bulgarie, Slovaquie, Allemagne, Pays-Bas, France, Etats-Unis et Belgique) et visaient un groupe très structuré d’Europe de l’Est. Le mode opératoire consisterait à corrompre un ou plusieurs joueurs pour modifier les résultats probables d’un match – ou certaines phases – afin d’en faire profiter des parieurs avertis voire le joueur (parieur) lui-même.

Si le tennis figure parmi les sports les plus à risque en matière de paris truqués, il n’est pas le seul sport concerné par des soupçons de manipulation des compétitions sportives. Selon Europol, qui a consacré en 2021 un rapport à la question de l’implication des organisations criminelles dans le sport, le football serait même le sport le plus ciblé par ces organisations. Ces dernières années, des rencontres dans des championnats en Espagne, en Turquie, en Allemagne, en Suisse ou encore en Belgique ont ainsi été épinglées par les enquêteurs.

Indiquons aussi que d’autres affaires de compétitions manipulées ont éclaté lors de matchs de handball au Danemark et de paris de cricket en Inde et au Pakistan. Même l’e-sport est concerné. Habituellement, la triche est organisée au moyen de logiciels espions mais, plus simplement, des joueurs sont parfois payés pour perdre.

 

Les initiatives d’Europol

Europol démontre que la corruption dans le sport est bel et bien un phénomène criminel mondial perpétré par des groupes organisés, impliqués dans plusieurs formes de criminalité (blanchiment d’argent, etc.), issus de différentes régions du monde et opérant largement au-delà de leurs seules frontières nationales. Par souci de moindre détection, ces organisations ciblent principalement des compétitions sportives de niveau inférieur et ce dans différents sports.

Le trucage de matchs y est ainsi défini comme « un effort délibéré et coordonné pour influencer le résultat d’une compétition sportive ou certains éléments de celle-ci. Cela implique généralement un joueur, un officiel du match, un entraîneur ou un autre membre du personnel qui a été corrompu par l’influence d’une autre partie. Cette influence prend la forme de pots-de-vin financiers, ainsi que de menaces physiques ou autres de la part de ceux qui parient sciemment sur des matchs truqués et en tirent un bénéfice financier, ou d’autres parieurs légaux qui peuvent subir des pertes financières. La manipulation d’éléments dans le cadre d’événements sportifs peut faciliter les paris sur des propositions, dans lesquels le pari consiste à savoir si quelque chose va se produire ou non dans le cadre de l’événement. » (Europol)

Malgré la difficulté reconnue d’estimer avec précision l’ampleur du problème, les experts d’Europol avançaient, en 2021, un chiffre de 120 millions € annuels générés par les organisations criminelles grâce au trucage de rencontres sportives en lien avec des paris, tout cela dans un marché mondial du pari sportif estimé alors à environ 1700 milliards € par an (chiffre en constante augmentation depuis plus de dix ans).

Si des mouvements suspects peuvent parfois être détectés au niveau des paris (la collaboration des opérateurs de paris, également perdants de ces pratiques, est ici essentielle), il est par contre souvent difficile de déterminer avec une force probante si un match a, par exemple, été perdu de façon loyale ou si le résultat a été faussé par une intervention extérieure.

A l’invitation de l’institution policière européenne, des organisations sportives comme le CIO et l’UEFA ont signé un protocole d’accord pour renforcer la coopération dans la lutte contre la corruption dans le sport. Ceci se concrétise par un échange de connaissances et d’expertise, le renforcement des capacités, la coopération entre secteur privé et public, etc. Ainsi, des experts anti-matches truqués de l’UEFA travaillent sur l’éducation, le renseignement, l’enquête et la coopération avec un réseau de spécialistes, en mettant particulièrement l’accent sur la prévention de tout problème lié aux matches truqués et aux irrégularités de paris. En effet, dans un souci d’efficacité, toutes les parties prenantes - autorités judiciaires, organisations sportives, autorités de régulation des paris, sociétés de paris elles-mêmes - doivent s’impliquer et, surtout, coopérer.

Bertrand FINCOEUR

Docteur en criminologie,

Maître d’Enseignement et de Recherche à l’Institut des Sciences du Sport de l’Université de Lausanne

Source :

« The Involvement of organized crime groups in sports corruption », Europol, sur :

https://www.europol.europa.eu/cms/sites/default/files/documents/the_involvement_of_organised_crime_groups_in_sports_corruption.pdf

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