Les enquêteurs, des victimes indirectes

Confrontés à des scènes de violence, les enquêteurs n’en reviennent pas indemnes sur le plan psychologique. Plusieurs études confirment l’ampleur du problème. Les conséquences et les initiatives prises en la matière.

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Un état de stress important

Une récente étude menée par la faculté de psychologie de l’Université de Mons (Umons) confirme plusieurs recherches internationales qui montrent à quel point les policiers sont affectés émotionnellement par certains événements qu’ils sont amenés à constater.  Ajoutons que même le personnel intervenant en seconde ligne, parfois non policier, est concerné (analyste opérationnel, personnel réalisant des expertises sur la base de documents/vidéos, personnel administratif assistant des enquêteurs, etc.).

Dans la recherche de l’Umons, près de 40% des répondants présentent des signes de stress post-traumatique. Dans 15% des cas, on considère qu’il s’agit même d’un trouble de stress aigu, ce qui confirme les données internationales. Le plus souvent, ce sont les événements entraînant la mort, notamment lors d’accidents de la circulation, les homicides et les suicides, qui sont les plus traumatiques, ainsi que les agressions – comme les faits de mœurs – commis sur des mineurs.

L’étude de l’Umons montre que, malgré leur faible expérience, les aspirants inspecteurs sont également touchés de manière plus importante encore, surtout quand ils sont confrontés à la violence.

Sur le plan personnel, une série de symptômes sont généralement observés :

  • Problème d’insomnie pouvant entraîner des troubles de l’attention, ce qui constitue un risque important lors d’intervention ;
  • De la dépression ;
  • Des tremblements, des flash-back, … ;
  • Une altération de l’humeur ;
  • Un phénomène de dissociation qui se traduit par une sensation de détachement de soi et/ou de son environnement (dépersonnalisation/déréalisation, incapacité à se souvenir d'informations personnelles importantes, …), etc.

Au niveau relationnel, les personnes concernées ont tendance à manifester une forte inquiétude voire de la paranoïa, ce qui les conduit à adopter des comportements d’évitement et à craindre sans cesse pour la sécurité de leur proche. Leur vie sociale et celle de leur entourage sont d’autant plus affectées qu’ils peinent à faire confiance. Ces difficultés touchent avec plus d’acuité ceux qui ont une perception manichéenne du monde.

Sur le plan professionnel, des difficultés apparaissent également puisque ces troubles ont tendance à faire augmenter l’absentéisme et ils peuvent s’ajouter aux facteurs conduisant aux suicides. Il n’est pas exclu qu’ils se traduisent par un épuisement émotionnel qui, notamment, réduit les performances et atténue la motivation du travailleur.

 

Un effet « boule de neige »

Le problème doit d’autant plus attirer l’attention des dirigeants qu’il existe un mécanisme appelé « contagion émotionnelle » qui s’explique par le fait que les membres d’une équipe ont tendance à converger émotionnellement avec les autres. Ils sont alors amenés à partager leurs croyances et expériences jusqu’à ressentir des émotions collectives. Voir les autres atteints émotionnellement joue sur la perception de l’environnement de travail et attise un stress collectif qui se diffuse avec des effets négatifs sur le travail (multiplication d’erreurs, etc.). Et ces mêmes effets créent des troubles, dans un cercle vicieux qu’il convient de stopper au plus tôt.

 

Prévenir et réagir

Pour ne pas paraître faible, par peur de rater une promotion, le personnel concerné parle peu de ses problèmes et il cherche encore moins de l’aide.

Dans de nombreux services, les responsables en ont conscience et ils prennent des initiatives préventives et curatives. Il semble toutefois que leur attention devrait aussi être plus orientée vers les personnels non policiers intervenant dans des enquêtes (ex : analystes), surtout sur le plan préventif (ex : formation adaptée), voire aussi pour les responsables :

https://www.birmingham.ac.uk/schools/psychology/research/protecting-the-protectors/resources.aspx ).

Si des formations adaptées sont utiles (ex : formation Appui psychologique aux intervenants), les conditions de travail apparaissent comme des facteurs protecteurs potentiels.  Il en est ainsi lorsque le membre du personnel éprouve de la satisfaction au travail, bénéficie de marques de reconnaissance et d’un soutien social (hiérarchie et collègues). Autrement dit, des initiatives préventives doivent être prises sur le plan organisationnel (voir : https://www.oscarkilo.org.uk/).

Le rôle des collègues est primordial car un esprit de groupe aide à gérer un stress permanent. En outre, le policier préférera partager ses expériences avec ses pairs, censés être mieux placés pour le comprendre. Il se sentira d’autant plus soutenu qu’ils l’écoutent et le réconfortent. Ce sont aussi ces mêmes collègues qui peuvent détecter des attitudes inquiétantes et informer les services d’aide.

Dans certaines situations, il est nécessaire de débriefer un trauma dans un délai assez court pour pouvoir apporter une aide optimale. Et plusieurs services jouent adéquatement ce rôle (ex : Stress team, Appui provincial psychologique aux intervenants, etc.)



Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er



Sources :

Journée d’étude sur le vécu émotionnel des policiers, Umons, juin 2023, sur : https://web.umons.ac.be/fr/deuxieme-journee-detude-a-lumons-sur-le-vecu-emotionnel-des-policiers-quatre-policiers-sur-10-affectes-par-le-stress-post-traumatique/

Fazeelat Duran, Crimes violents : une vaste étude met en évidence le traumatisme des enquêteurs, The Conversation, 9 juin 2023, sur : https://theconversation.com/crimes-violents-une-vaste-etude-met-en-evidence-le-traumatisme-des-enqueteurs-206632

Mathieu Molines, Pierre-Yves Sanséau, Stress et suicide dans la police, l’organisation policière en question, The Conversation, 19 février, 2018, sur : https://theconversation.com/stress-et-suicide-dans-la-police-lorganisation-policiere-en-question-91783

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