Les effets des crises sanitaires et économiques sur l’usage de drogues

Prédire les répercussions d’une crise inédite comme la COVID-19 est un exercice difficile. Néanmoins, les leçons de précédentes crises annoncent ses effets à retardement probables en matière de santé mentale et de consommation de drogues.

© Eric Ostermann

Facteurs de risque et de protection

L’usage de drogues licites (alcool, médicaments psychotropes) et illicites concerne l’ensemble de la population. Chaque individu est exposé à un ensemble de facteurs de risque et de protection.

Ces facteurs agissent sur les risques individuels liés à l’usage de drogue, par exemple l’initiation à l’usage, le développement d’un usage problématique, les risques de transmission des infections (VIH, hépatites), etc. Ces facteurs agissent aussi sur le maintien de l’abstinence et sur les probabilités de rechute ou d’arrêt de la consommation.

Particulièrement, les personnes souffrant de troubles mentaux, de situations stressantes voire traumatiques, peuvent se tourner vers la consommation de substances psychoactives dans un but d’automédication et pour gérer leur stress. Et inversement, un mésusage de substances peut participer à détériorer la santé mentale.

Vu la multiplicité des facteurs pouvant intervenir, on comprendra combien la pandémie de COVID-19, qui impacte le fonctionnement de la société et les individus, peut influencer la consommation de substances, même après la crise.

Epidémies et crises sanitaires

Nombre d’études scientifiques établissent un lien entre les crises sanitaires et des effets psychologiques négatifs sur la population. La prévalence cumulée des troubles de stress post-traumatique liés aux différentes épidémies du 21e siècle atteint 22,6% de la population mondiale, allant jusque 26,9% chez les professionnels de la santé et 23,8% chez les personnes infectées (12 à 46 mois après l’épidémie).  



Population générale

Depuis le début de la pandémie de COVID-19, toutes les populations mondiales déclarent de plus hauts niveaux d’anxiété, de dépression, de troubles post-traumatiques, de stress et de troubles du sommeil. Or, il s’agit de facteurs de risque de développement d’une consommation problématique.

En Belgique, il est établi qu’entre 20 et 30% des personnes interrogées ont augmenté leur consommation d’alcool, de cannabis et de médicaments psychotropes.



Populations à risque

Certaines personnes sont plus à risque de développer des troubles mentaux lors d’une épidémie, notamment les personnes ayant un statut socio-économique faible. Dans le cas de l’épidémie de COVID-19, s’ajoute une série de facteurs de risque : perte d’emploi ou chômage, ménage isolé ou monoparental, etc.

L’augmentation de la consommation d’alcool en période de COVID-19 est associée au fait d’être de genre féminin, d’avoir des enfants en bas âge, de subir du stress ou de l’anxiété, et d’être au chômage technique.



Professionnels de la santé

Les professionnels de la santé sont particulièrement exposés en temps d’épidémie vu leurs conditions de travail qui peuvent provoquer des traumas et/ou induire la mise en place de stratégies de gestion du stress comme la consommation de substances. Cette consommation peut se prolonger après la crise, pour vivre avec le trauma, par habitude ou dépendance.

Certains observateurs s’inquiètent aussi de l’augmentation de la consommation de médicaments psychotropes, permettant de « tenir le coup », de tenir le rythme et de dormir.  



Usagers et usagères de drogues

Les services bruxellois actifs en matière d’assuétudes ont rapporté une dégradation des vulnérabilités des usagers de drogues, notamment une augmentation de l’isolement et de la désaffiliation sociale, une aggravation de leur santé mentale et de leurs problématiques de consommation d’alcool et de drogues illicites.

Crises économiques

Les travailleurs et travailleuses éprouvent les effets de mesures prises dans le cadre de la lutte contre l’épidémie de COVID-19 (chômage, perte de revenu, épuisement, etc.) dans de nombreux secteurs.

Si les crises économiques s’accompagnent globalement d’une baisse de la consommation de substances psychoactives au sein de la population générale, la consommation à risque et les conséquences négatives liées à la consommation peuvent augmenter au sein de certaines sous-populations (ex : les personnes ayant perdu leur emploi).

Une baisse des revenus peut déboucher sur la consommation de produits psychotropes moins chers, potentiellement de moins bonne qualité et davantage dangereux pour la santé. De plus, les situations de stress (perte de revenu, perte d’emploi…) peuvent augmenter la détresse psychologique des individus entrainant une consommation de substances. 

Mesurer, anticiper et prévenir

La crise engendrée par la Covid-19 s’accompagne de nombreux effets néfastes et d’incertitudes. Notamment, elle creuse les inégalités sociales et elle fait significativement reculer les progrès en matière d’égalité femme-homme.

Une grande partie des facteurs de protection et de risque liés à l’usage de substances ont été impactés positivement ou négativement, générant des résultats différenciés au sein de la population, au détriment des personnes les plus vulnérables et/ou ayant un statut socio-économique faible. Même si la majorité de la population n’a pas augmenté sa consommation, ni développé une consommation à risque ou problématique au cours des différents confinements, les données épidémiologiques actuelles laissent penser que ce constat rassurant doit être nuancé pour les raisons suivantes :

  • Entre 20 et 30% des usagers de substances ont augmenté leur consommation d’alcool, de cannabis et de somnifères et tranquillisants ;
  • La santé mentale de la population générale et la situation des personnes ayant des problèmes psychologiques antérieurs se sont dégradées au fur et à mesure de la crise, ce qui pourrait avoir un impact différé sur les consommations ;
  • Une partie des services spécialisés en assuétudes relève une détérioration de la situation sociale et sanitaire de leurs usagers.

De plus, les usagers problématiques et les personnes souffrant de troubles mentaux peuvent mettre plusieurs années avant d’identifier le(s) problème(s) et chercher une aide professionnelle. Ce temps de latence peut induire une sous-estimation des effets de la crise sur les consommations et la santé mentale, ainsi qu’une sous-estimation des demandes d’aide à venir. Il est donc tout à fait indispensable de détecter précocement ces troubles et d’intervenir au plus tôt, avant que les problèmes ne se chronicisent et n’aient un impact délétère sur la vie des personnes, leurs proches et la société.

Les connaissances scientifiques actuelles appellent donc à la plus grande prudence quant à l’impact réel de la crise liée au COVID-19 sur la santé mentale et l’usage problématique de substances psychoactives, en particulier auprès de certaines populations davantage à risque.

Il est dès lors fondamental d’adopter des mesures de promotion de la santé adéquates, d’une part, en soutenant le monitoring des effets de la crise sanitaire sur la santé de la population, sa santé mentale et sa consommation de substances, afin de surveiller les tendances et d’anticiper les besoins en accompagnement et soins, pendant et après la crise, et, d’autre part, en appliquant des mesures soucieuses de réduire les inégalités sociales, et des mesures de proximité qui répondent aux besoins et sont attentives aux spécificités des populations- et communautés-cibles, ainsi que renforcer la détection précoce, la prévention et la réduction des risques liés à l’usage de drogues.



Clémentine STEVENOT

Chargée de projets scientifiques auprès de Eurotox asbl



Sources :

Les conséquences de l’épidémie de COVID-19 sur l’usage de drogue et ses conséquences socio-sanitaires d’Eurotox (2020),

URL : https://eurotox.org/wp/wp-content/uploads/Focus-Covid-TDB2020-Eurotox.pdf

Prévenir plutôt que guérir. Les effets des crises sanitaires et économiques sur l’usage de drogues d’Eurotox (2021).

URL : https://eurotox.org/2021/10/25/prevenir-plutot-que-guerir-les-effets-des-crises-sanitaires-et-sociales-sur-lusage-de-drogues/

 

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