Le témoignage anonyme est-il possible ?

Le statut de "collaborateur de justice" peut prendre différentes formes : informateur, repenti ou témoin anonyme. Mais le témoin peut-il faire sa déposition sous anonymat partiel ou complet ? Qui peut l’accorder ?

© Steve Closset

Lutter contre le crime organisé

Ce que l’on appelle communément la grande criminalité voire encore le crime organisé s’exprime parfois de manière violente, suffisamment pour décourager d’éventuels témoins.

Pour les protéger, le législateur a permis que l’on puisse faire une déposition sans révéler son identité ou seulement partiellement.

Néanmoins, les droits de la défense supposent le respect de principes dont celui de la contradiction qui est heurté si l’on prend en compte un témoignage anonyme. Comme nous le verrons, la loi a donc tempéré la force probante de ce type de preuve.

 

Le juge d’instruction comme garantie

Pour qu’un témoignage anonyme puisse être accueilli par nos juridictions, la Cour européenne des droits de l’homme a exigé une série de garanties : des motifs suffisants de garder l’anonymat (ex : craintes de représailles), le respect du principe de subsidiarité, l’audition du témoin par un juge indépendant, etc.

En Belgique, c’est au juge d’instruction que ce rôle est confié. On rappellera que le témoin qu’il cite est obligé de se présenter devant lui, qu’il sera identifié (nom, demeure…) et qu’il prêtera serment. 

Néanmoins, d’initiative, sur réquisition du procureur du Roi, à la demande du témoin ou sur requête d’une des parties, le juge d’instruction peut déroger à cette identification mais il doit procéder lui-même à l’audition.

 

Deux types de témoignage anonyme



L’anonymat partiel 

S'il existe une présomption raisonnable que le témoin, ou une personne de son entourage, puisse subir un préjudice grave à la suite de sa déposition, certaines données de son identité peuvent être omises (profession, âge, …). Mais il ne pourra s’agir de l’omission des nom et prénom(s) ou de l’ensemble des données d’identité.

Il ne faut pas confondre cette possibilité avec le droit qu’ont certains professionnels, chargés notamment de la constatation et de l'instruction d'une infraction et entendus comme témoins en cette qualité, d’indiquer leur adresse de service au lieu de leur demeure.

Il convient d’indiquer qu’un témoignage partiellement anonyme conserve toute sa force probante alors même qu’il ne serait pas corroboré par d’autres éléments de preuve.

Le juge d’instruction motive sa décision portant sur l’octroi de l’anonymat sans qu’aucun recours ne soit possible.

Le procureur du Roi tient un registre de tous les témoins dont des données d'identité ne figurent pas au procès-verbal d'audition et avec le juge d'instruction, il prend les mesures nécessaires pour éviter la divulgation des données d'identité.



L’anonymat complet

Dans ce cas aussi, sans recours possible, le juge d’instruction décide s’il convient d’omettre l’identité complète du témoin. Cette décision est soumise à plusieurs conditions.

  • Le témoignage a lieu dans le cadre d’une enquête portant sur des faits graves énoncés limitativement (trafic d’armes, organisation criminelle, etc.) ;
  • S’il est admis que le témoin ou une personne de son entourage peut raisonnablement se sentir gravement menacé dans son intégrité en raison du témoignage et si le témoin a fait part de son intention de ne pas déposer à cause de cette menace, ou s'il existe des indications précises et sérieuses que ce témoin ou une personne de son entourage court un danger, si le témoin est un officier ou un agent de police judiciaire.
  • L’anonymat partiel et les autres moyens d’enquête sont insuffisants (subsidiarité).

Avant de procéder à l’audition, le juge d’instruction s’assure de l’identité du témoin et il contrôle sa fiabilité.

Le procureur du Roi, la personne à l'égard de laquelle l'action publique est engagée dans le cadre de l'instruction ou l'inculpé, la partie civile et leurs conseils peuvent soumettre au juge d'instruction, avant et pendant l'audition du témoin, les questions qu'ils souhaitent voir poser. Ce dernier peut leur ordonner de n’assister à l’audition que dans un autre local avec l’aide d’un système de télécommunications.

Le juge d'instruction empêche le témoin de répondre à toute question qui amènerait à l’identifier.

Une différence fondamentale existe entre les deux types de témoignage. En effet, lorsque l’anonymat est complet, sa force probante est limitée car il ne peut suffire à lui seul pour servir de preuve pour motiver une condamnation.

Le procureur du Roi tient un registre de tous les témoins dont l'identité est tenue secrète et toutes les mesures nécessaires sont prises pour ne pas révéler leurs identités.



Autre témoin anonyme

En dehors des cas précités, rien n’empêche l’audition d’un témoin sous anonymat mais cette déposition n’aura alors aucune force probante. Elle servira uniquement à ouvrir ou à orienter une enquête voire à réunir des preuves.

 

Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er



Pour en savoir plus :

M.-A. Beernaert, H.D. Bosly, D. Vandermeersch, Droit de la procédure pénale, Ed. La Charte, 2021.

 

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