Le phénomène des piqûres sauvages lors de rassemblements

Depuis quelques mois, les témoignages de piqûres sauvages se multiplient dans notre pays et la problématique a pris de l’ampleur. Que sait-on de ce phénomène à l’heure actuelle ?

© Quentin Peeters

Origine du phénomène

Le phénomène des piqûres sauvages ou « needle spiking[1] », s’est initialement développé au Royaume-Uni fin 2021 (plus de 1.500 cas). Généralement, les témoignages impliquent des jeunes femmes qui rapportent avoir été droguées à l’aide de seringues hypodermiques, le plus souvent dans des environnements festifs très fréquentés.

Les symptômes rapportés incluent des vertiges et maux de têtes, des troubles de la vigilance, une faiblesse musculaire, une confusion/désorientation et, dans les cas extrêmes, une perte de conscience.



Absence de preuves tangibles

Le phénomène a depuis également été rapporté en France, aux Pays-Bas ainsi qu’en Belgique. Malgré la multiplication des témoignages, aucune preuve tangible et irréfutable de l’existence de soumission chimique par injection n’a pu être décelée à ce jour, en Belgique ou dans les autres pays concernés. Plus précisément :

  • Alors que l’injection est un acte qui passe difficilement inaperçu, aucun agresseur n'a pu être confondu. De plus, aucune seringue n’a pu être retrouvée sur les lieux d’agression supposée ;
  • La présence de lésions corporelles évoquant une piqûre est peu fréquente malgré la multitude de témoignages. Lorsque des lésions sont identifiées, il est difficile d’écarter les autres causes possibles (piqûre d’insecte, blessure domestique…) ;
  • Les analyses toxicologiques menées sur les échantillons prélevés (sang, urine) n'ont rien révélé jusqu’à présent, qu’il s’agisse d’analyses immunologiques ou d’analyses plus poussées réalisées par des laboratoires spécialisés ;
  • Le recours à l’injection à des fins de soumission chimique n’a jamais été rapporté dans la littérature scientifique. Les drogues utilisées sont habituellement incorporées dans des aliments ou des boissons, un moyen plus discret et requérant moins de compétences techniques.



Pistes explicatives

Le phénomène n’est pas sans rappeler la "rumeur d'Orléans" (voir le livre d’Edgar Morin) des années 60, et qui portait sur l’enlèvement à des fins de prostitution de jeunes filles dans des cabines d'essayage de magasins juifs. Les victimes étaient supposément droguées à l’aide de seringues... Cette rumeur avait été grandement attisée par les médias de l'époque. Il fait également écho au phénomène des « piqueurs » de femmes au XIXème siècle : des centaines de femmes rapportaient alors avoir été piquées, à l’aide d’aiguilles ou autres objets, par des inconnus dans l’espace public parisien.

Actuellement, l'hypothèse la plus probable consiste à considérer le « needle spiking » comme un phénomène de peur sociale, favorisé par le contexte anxiogène post-covid et entretenu par les médias. Plusieurs éléments convergent en effet, favorisant la cristallisation de légendes urbaines, qui peuvent générer de véritables peurs sociales et engendrer des vécus traumatisants :

  • En raison de la crise sanitaire, les troubles anxieux, y compris l'agoraphobie et les crises de panique, ont grandement augmenté, en particulier chez les jeunes. Or, les symptômes des crises de panique[2] et de l’anxiété sociale[3] sont similaires à ceux rapportés par les témoignages de piqûres sauvages ;
  • Les jeunes ont perdu leurs habitudes festives suite aux confinements et interdictions de grands rassemblements. Les mesures de distanciation sociale et la peur d’être infecté par la COVID-19 ont de plus façonné des comportements de méfiance ou d’évitement à l’égard des autres, voire des signes d’anxiété dans les environnements surpeuplés, probablement encore présents chez certaines personnes ;
  • De nombreux biais attentionnels ou mnésiques sont fréquemment observés chez les personnes souffrant d’anxiété. Leur survenue peut être majorée, par exemple, par la consommation d’alcool, de médicaments ou de drogues. Ces biais peuvent engendrer des erreurs d'attribution causale, c’est-à-dire être convaincu que des symptômes de vertige ont été causés par un tiers, alors qu’ils sont induits par la fatigue, la consommation d’alcool, ou encore un niveau d’anxiété élevé.

L’implication de tels biais cognitifs dans la genèse des cas de needle spiking est d’autant plus probable que les témoignages émanent souvent d'adolescents, qui n'ont pas forcément une grande expérience de la foule et des milieux festifs, ni des effets de l’alcool et des autres substances psychoactives, ou encore de l’hyperthermie et de la déshydratation qui peuvent survenir dans ces environnements. Les jeunes sont en outre généralement plus suggestibles que les adultes, et peuvent donc plus facilement être convaincus de l’existence de menaces non vérifiées.

Pour conclure, nous ne disposons actuellement pas de preuves tangibles corroborant l’existence de tentatives de soumission chimique par injection. Il est donc probable qu’il ne s’agisse que d’un phénomène de peur sociale, bien que l’on ne puisse pas à ce stade exclure les pistes explicatives suivantes (qui ne sont pas mutuellement exclusives) :

  • Le système de détection et de prise en charge des cas de soumission chimique par injection est inadapté et/ou ne dispose pas de moyens suffisants à son objectivation ;
  • Des individus se livrent effectivement à des violences physiques, avec des objets pointus mais sans intention de soumission chimique. Les victimes étant souvent des femmes, il pourrait s’agir d’une « nouvelle » forme de violence envers les femmes en milieu festif, s’ajoutant aux autres violences déjà présentes (insultes, harcèlement, attouchements, soumission chimique, etc.) ;
  • L'hypermédiatisation des « piqûres sauvages » a fini par donner de (mauvaises) idées à des personnes qui s'amuseraient à entretenir ces peurs par défi ou à des fins malveillantes.

N.B. : Si vous rencontrez des cas de piqûres sauvages, alertez svp la Police Fédérale et Sciensano (même dans les cas négatifs)



Lire aussi : Violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues





Michaël HOGGE et Clémentine STEVENOT

Chargés de projets scientifiques auprès de Eurotox asbl



Références :

Eurotox asbl (2022) « Le phénomène des piqûres sauvages (needle spiking) : Que savons-nous réellement ? », URL :

https://eurotox.org/2022/06/28/le-phenomene-des-piqures-sauvages-needle-spiking-que-savons-nous-reellement/

Eurotox asbl (2022) « Violences sexuelles facilitées par la consommation de drogues », URL :

https://eurotox.org/2022/05/09/violences-sexuelles-facilitees-par-la-consommation-de-drogues/

 

[1] De l’anglais « needle » (= aiguille) et « spiking » qui désigne le fait d’administrer un produit psychoactif à l’insu d’une personne, souvent dans la perspective de commettre un crime (vol, viol).

[2] La crise de panique est une montée soudaine de peur ou de malaise intense qui atteint un pic en quelques minutes, et durant laquelle quatre (ou plus) symptômes se produisent, dont : palpitations, transpiration, tremblements ou secousses, sensations d'étouffement, douleur ou gêne thoraciques, nausées, vertige ou faiblesse, frissons ou sensations de chaleur... Ces crises sont un peu plus fréquentes (1,6 fois) chez les femmes que chez les hommes.

[3] L’anxiété sociale se définit comme une peur ou une anxiété marquée, ou intense, de situations sociales dans lesquelles la personne peut être observée par les autres. Les symptômes incluent notamment des vertiges/malaises, des palpitations, des nausées, des tremblements ou encore des difficultés respiratoires voire une sensation de suffoquement.

 

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