Le déploiement international des réseaux mafieux calabrais

Terre pauvre, la Calabre a engendré une grande émigration, intérieure comme internationale, et c’est dans ce flux d’immigrés honnêtes et travailleurs que des mafieux se sont glissés pour favoriser l’implantation de la ‘Ndrangheta, développer ses trafics et réseaux. 

Cette expansion constitue le quatrième volet de la suite d’articles consacrés à la mafia calabraise.

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Des excroissances calabraises dans le nord de l’Italie



L’infiltration mafieuse dans le nord de l’Italie (Piémont, Lombardie, Ligurie et jusque dans le Val d'Aoste) s’est développée en marge des migrations de main d’œuvre des régions pauvres du Mezzogiorno et à travers la politique de relégation lancée dans les années 50, la contrainte judiciaire du "séjour obligatoire", qui a paradoxalement favorisé l’implantation des clans mafieux en dehors de leurs territoires d’origine.



Les réseaux calabrais profitent de la Suisse toute proche et investissent dans le secteur de l’Horeca, dans la construction, dans le marché de fruits et légumes de Milan,… En Ligurie, les mafieux s’intéressent au port de Gênes, au casino de San Remo et à la Côte d’Azur française. La présence mafieuse calabraise est telle dans le Nord qu’une structure de coordination, baptisée la Lombardia, est créée par les clans du sud. En 2008, le chef de la Lombardia est abattu : il voulait prendre son indépendance par rapport aux clans basés en Calabre. Le message est clair : même loin de la Calabre, c’est de là que viennent les ordres.





Les calabrais à l’assaut de l’Europe



Après 1945, le flux de millions d’italiens qui viennent travailler dans les mines de charbon de Belgique et d’Allemagne, draine des mafieux de la Camorra, Cosa Nostra et ‘Ndrangheta.



En Belgique, une vingtaine de fugitifs (essentiellement siciliens) ont été interpellés depuis les années 90. Plus discrète, la ‘Ndrangheta est tout de même impliquée dans des trafics de cocaïne, d’ecstasy et de cannabis, notamment les frères Antonio, Silvio (abattu en août 2015), Francesco et Lucio (arrêté en septembre 2020) Aquino.



En Allemagne, le Ministère de l’Intérieur a identifié en 2019 entre 800 et 1.000  membres ou associés de la ‘Ndrangheta ainsi que de nombreux investissements, en particulier dans le secteur de l’énergie et à la Bourse de Francfort. En 2021, le Gouvernement fédéral avance le chiffre (précis…) de 505 mafieux calabrais.



Selon la police néerlandaise, une centaine de mafieux calabrais, essentiellement à Amsterdam et dans sa région, sont actifs dans le trafic de stupéfiants, en contact avec des représentants des cartels sud-américains, des clans turcs et albanais, mais aussi avec la pègre néerlandaise, notamment pour le trafic de drogues de synthèse.



Selon des experts italiens (validés par la police fédérale suisse), il y aurait en Suisse au moins 400 mafieux de la ‘Ndrangheta, Camorra et Cosa Nostra. Ces mafieux sont principalement basés dans les cantons frontaliers du Tessin, des Grisons et du Valais, ainsi que dans les centres urbains : ils sont discrets, bien intégrés et ont un emploi.

Près de l’Italie, Malte attire l’intérêt de la ‘Ndrangheta dans le domaine des sites de paris et de jeux en ligne.



A proximité de la frontière italienne, une centaine de mafieux calabrais se sont implantés sur la Côte d’Azur. Ils assurent l’hébergement de fugitifs, le blanchiment d’argent et le transit de la drogue. Certains sont italiens, d’autres français ou possèdent la double nationalité.





Deux bastions : le Canada et l’Australie



Si des réseaux discrets de la ‘Ndrangheta aux Etats-Unis sont identifiés depuis 1906, la place forte calabraise en Amérique du Nord reste le Canada : Hamilton, Toronto, London, Montréal, Thunder Bay, avec une présence avérée depuis au moins 1911. Certains mafieux ont fait fortune sous la Prohibition, mais la plupart sont arrivés dans les années 50, s’impliquant dans la French Connection. Rivale de la "faction sicilienne" de la Mafia montréalaise, la ‘Ndrangheta reste un acteur important du crime organisé au Canada avec une dizaine de ndrine actifs dans les stupéfiants, l’extorsion, le jeu illégal, l’usure,... parfois en collaboration avec les gangs de bikers. Les chefs mafieux faisant régulièrement le déplacement en Calabre pour prendre les consignes.



En Australie, des criminels calabrais ont été repérés dès les années 1920 dans des activités de racket (avec meurtres, incendies, bombes,…) notamment dans le secteur des fruits et légumes. Un des fiefs de la ‘Ndrangheta en Australie, la petite ville de Griffith (16.000 habitants), "capitale" de la marijuana, a fait l’objet d’une enquête mettant en cause un parlementaire fédéral, ancien Ministre de l’Immigration, à la suite de la disparition depuis 1977 d’un élu local opposé aux plantations illicites, présumé assassiné par des trafiquants calabrais. La ‘Ndrangheta est en outre impliquée dans le trafic de drogues de synthèse. En 2008, une saisie record de 4,4 tonnes d’ecstasy et 150 kg de cocaïne par les douanes australiennes entraîne également des perquisitions en Italie, aux Pays-Bas et en Belgique. 

 



Des « narco-brokers » en Colombie



En Amérique du Sud, la ‘Ndrangheta (comme Cosa Nostra) dispose d’intermédiaires chargés de négocier avec les fournisseurs de cocaïne. Ces «brokers» calabrais ont pu profiter d’un contact de confiance : Salvatore Mancuso, colombien d’origine italienne. Dans les années 1990 et 2000, Mancuso a été le leader des paramilitaires des AUC (Autodéfenses Unies de Colombie), jusqu’à son extradition en 2008 aux Etats-Unis.



Les trafiquants calabrais ont également tissé des liens avec les cartels mexicains : en 2008, une enquête américaine cible une association criminelle entre le Cartel du Golfe et un clan calabrais implanté au Canada. En février 2014, une opération du FBI et de la police italienne met à jour une alliance entre des clans calabrais et les Familles mafieuses Gambino et Bonanno de New York, toujours pour importer de la cocaïne sud-américaine en Europe.



En juillet 2019, une enquête conjointe des autorités brésiliennes et italiennes sur un trafic de cocaïne par conteneurs permet d’identifier des réunions, au Brésil, en 2016 et 2017, entre un des chefs du puissant clan Pelle de la ‘Ndrangheta et « Fumiho », le n°2 du Primeiro Comando da Capital (PCC, principal gang brésilien).



Stéphane QUERE

Criminologue, Animateur du site de veille sur le crime organisé crimorg.com



Sources :

Europol, Italian Organised crime, Threat assessment, 2013 

https://www.europol.europa.eu/sites/default/files/documents/italian_organised_crime_threat_assessment_0.pdf

Mafia and Organised Crime in Italy: The Unacknowledged Successes of Law Enforcement

 

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