La Sacra Corona Unità, la quatrième mafia

Depuis longtemps, les agissements de Cosa Nostra en Sicile, de la Camorra en Campanie et de la ‘Ndrangheta en Calabre ont défrayé la chronique. Moins connue mais pourtant très active, la Sacra Corona Unità (SCU) sévit, elle, dans les Pouilles.

© Guardia di Finanza

Origine et description de la SCU

Contrairement à Cosa Nostra, selon Paolo Iannucci de la Direzione Investigativa Antimafia (DIA), « La quatrième Mafia n’a pas de “coupole”, c’est une sorte de structure fédérative, composée de groupes juxtaposés, (…). Cette Mafia est en pleine période (lire en 2022) de réajustements car de nombreux boss ont été incarcérés au régime le plus strict… » En d’autres termes, elle est composée de clans autonomes qui assurent un « contrôle » sur le territoire d’une province (ex : la società foggiana à Foggia ; la nuova famiglia salentina à Salento, etc.).

D’après certains repentis, à la base de la SCU, on trouverait des membres parfois très jeunes, sous la dénomination de picciotteria, camorrista, etc. Au sommet du clan, se trouve la « coupe » composée d’un petit nombre d’affiliés parmi les plus importants. Elle s’entourerait également de rites particuliers (ex : serment, etc.).  

En fait, ce n’est qu’en 1990 qu’elle a été reconnue comme une association mafieuse (l’art.416 bis C.pén. italien) par la Cour d’appel de Lecce. L’histoire veut qu’elle serait née à la fin des années 1970, à l'intérieur des prisons où avaient été transférés de nombreux prisonniers appartenant à la « nuova camora organizzata », à la fois pour réagir à son implantation dans les Pouilles mais aussi en l’imitant.

La suite sera faite de tensions inter et intra clans, entraînant des refondations et des alliances entre familles au gré des affaires. Selon l’ex-magistrat Michele Emiliano, le crime organisé dans les Pouilles est fait d’imitations des mafias traditionnelles et d’initiatives originales, modernes et autochtones, mais aussi d’instabilités.

On peut ajouter que les clans étant souvent composés sur la base de liens familiaux, l’omertà est d’autant plus affirmée.

A propos des méthodes, elle agit comme le faisait Cosa Nostra dans les années septante d’où son qualificatif de « brutale ». Pour parvenir à ses fins, elle recourt à des exécutions de manière impitoyable. Tantôt, pour intimider, elle agit de manière sensationnelle devant un nombreux public, en utilisant des explosifs voire en défigurant les victimes lors du coup « de grâce ». Tantôt, elle utilise la « lupara bianca », prisée par les Corléonais, soit l’exécution suivie de la disparition du corps (ex : en le jetant dans une grotte).



Les activités de la SCU

La situation géographique de la SCU, face aux Balkans, influence ses activités. Ainsi, la région qu’elle contrôle constitue un point d’entrée pour la contrebande de tabac en provenance du Monténégro (Brindisi a été surnommée « Marlboro city »), pour le trafic de stupéfiants et d’armes (ex :  kalachnikovs) et pour la TEH, notamment pour alimenter des réseaux de prostitution.  

La justice considère que les différents clans exercent des activités criminelles similaires : détournement de subventions de l’U.E. ; infiltration dans le secteur des travaux publics ; racket (pizzo) des commerçants ; pénétration de secteurs économiques comme le tourisme et la construction ; etc. 

Toutefois, il existe aussi ce qu’elles appellent les spécialités locales. A titre d’exemple, les clans de la province de Foggia sont spécialisés dans la commission des faits suivants :

  • A Cerignola, les attaques à l’explosif des transports de fonds et les vols de voitures revendues ensuite en pièces détachées (« cannibalisées ») ;
  • Dans le massif escarpé du Gargano, le cannabis est cultivé sur place ;
  • A Foggia (ville), l’extorsion, le trafic de médicaments (au lieu du tabac) et les prêts usuraires. Les autorités considèrent que 80% des commerces s’acquittent du « pizzo » sous forme « d’abonnement » (à intervalles) ou par un paiement unique mais élevé. Ils se sont aussi accaparés le secteur des pompes funèbres imposant des tarifs non négociables ;
  • A San Giovanni Rotondo, la cité a servi longtemps de lieu de stockage de la cocaïne, etc.

Les plus récents rapports de la DIA indiquent que la SCU agit aussi hors de son territoire et qu’elle entretient des liens fréquents avec la mafia albanaise et les autres mafias italiennes, sans avoir toutefois la même présence internationale que ces dernières.

En outre, elle ne dispose pas (encore) de leurs compétences entrepreneuriales mais elle a pu également s’investir dans la fraude fiscale, le blanchiment d'argent, la contrebande de produits énergétiques, etc.  

Notons enfin que l’on observe la présence d'organisations criminelles étrangères sur le territoire des Pouilles, des groupes albanais et roumains en particulier, actifs dans le trafic de drogue voire en soutien aux activités de la SCU.

Claude BOTTAMEDI

Chef de corps d’une zone de police er

Sources :

RASSEGNA DI DOCUMENTI PROCESSUALI CONCERNENTI LE MAFIE PUGLIESI (*) Relatore: dott.Michele EMILIANO Sostituto procuratore della Repubblica presso il Tribunale di Bari, sur : https://web.archive.org/web/20160208011835/http://www.csm.it/quaderni/quad_99a/quad_99_4.pdf

Camera dei Deputati Senato della Repubblica, XVIII LEGISLATURA — DISEGNI DI LEGGE E RELAZIONI — DOCUMENTI DOC. XXIII N 13, TOMO VI – DECLASSIFICATO ED PUBLICATO ai sensi della delibera del 10 luglio 2019, sur :

https://documenti.camera.it/_dati/leg18/lavori/documentiparlamentari/indiceetesti/023/013_RSt06/00000004.pdf

®https://www.secunews.be/fr

Kingston Natacha, « Newcomers in organised crime A case study of Giuseppe Rogoli’s Sacra Corona Unita, 1979-1999 », thèse de doctorat, Université de Barth, 2012, sur : https://purehost.bath.ac.uk/ws/portalfiles/portal/187940826/UnivBath_PhD_2012_N_Kingston.pdf

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