Comment déjouer les pièges des meurtres dissimulés

Un certain nombre d’homicides restent impunis chaque année à la suite de concours de circonstances externes, d’une non-exploration de la "scène de crime" par le technicien LPTS et d’absence d’expertise médicale. Deux cas symptomatiques et les parades.

© INCC-NICC

La mort inopinée d’un enfant

Les pièges sont nombreux et nous avons déjà cité la dégradation du corps par la putréfaction, ou sa transformation par la momification et l’adipocire.

Nous pensons également à la mort subite et inopinée du sujet jeune. La mort subite du nourrisson fait partie de ces pièges, dès lors qu’elle peut par exemple camoufler un décès par étouffement. Face à l’enfant décédé, il est certain que l’autopsie médico-légale est d’un apport considérable permettant d’éviter ces errements diagnostiques, par la mise en évidence de fractures costales anciennes par exemple, contusions et/ou ruptures viscérales, traumatisme crânien, etc.

La Belgique avait estimé à juste raison, se doter d’une loi fort intéressante à propos de la réalisation systématique de l’autopsie (avec l’accord de la famille) en cas de mort subite et inopinée du jeune enfant. Malheureusement et pour des raisons qui nous échappent, cette loi attend ses arrêtés d’exécution pour être enfin appliquée. Dans ces cas, l’autopsie (effectuée par des médecins attachés aux centres définis par la loi) permettrait outre les violences physiques létales, de révéler bien des problèmes, tels que certaines infections particulières, anomalies congénitales ou héréditaires (Beauthier, 2009; Dugauquier et Beauthier, 2022).

 In fine, ce sont tous ces pièges générateurs de difficultés diagnostiques qui risquent donc d’aboutir à tous ces homicides ignorés et/ou camouflés.

 

L’incinération et ses conséquences

S’il faut soulever le problème lié à l’incinération – de plus en plus fréquemment sollicitée dans les grandes villes – il est certain que les questions posées trouvent ici un aspect encore plus aigu, puisque la disparition de la preuve est cette fois radicale et définitive.

Le passage du deuxième médecin (médecin généraliste assermenté auprès des autorités communales) n’améliore pas nécessairement les éventuelles garanties face à la mort suspecte, le rôle de ce médecin étant très mal défini, et se limitant souvent à vérifier si la personne décédée n’est pas porteuse d’un pacemaker.



Face à cet archaïsme, il est donc urgent que notre pays adopte une position ferme et progressiste en matière de constat de décès. Nous attendons donc une revalorisation de la médecine légale et bien évidemment de son enseignement (Beauthier, 2009).



Les parades : comment éviter ces homicides cachés ?

Ces parades sont simples voire évidentes.

Du point de vue médico-légal 

  • La sollicitation du médecin légiste spécialisé devrait être la règle en présence d’une personne décédée de mort violente ; malheureusement, la profession est en pénurie[1] et les moyens financiers sont manquants ;
  • La méfiance devrait être de mise face aux diagnostics basés uniquement sur l’examen externe d’un corps (en l’absence d’information ou de connaissance des antécédents médicaux du patient) ;
  • L’autopsie médico-légale devrait être plus fréquemment pratiquée[2] et doublée d’une imagerie post mortem de qualité ;
  • Bref, il s’agit finalement de se conformer à la recommandation édictée par le Comité des Ministres aux États membres, relative à l’harmonisation des règles en matière d’autopsie médico-légale, Conseil de l’Europe[3]. 

Du point de vue des enquêteurs 

  • À la condition bien sûr que les services de police aient été avertis du décès dont question, les premières mesures pour délimiter et protéger les lieux (établissement du périmètre et des différentes zones de sécurité, protection des traces et indices) et l’étude de la « scène de crime » selon les approches et techniques modernes restent une pierre angulaire de l’enquête ;
  • On en revient à l’observation minutieuse de cette scène, à la fixation par la photographie et/ou la vidéo, à la recherche, à l’identification et au prélèvement scrupuleux des traces et microtraces utiles à l’enquête ;
  • À l’analyse systématique de tous ces éléments par les membres expérimentés du laboratoire de police technique et scientifique ;
  • Ainsi qu’aux devoirs habituels des enquêteurs se rapportant aux auditions des témoins, interrogatoires, etc.



La série de 3 articles :

Ces meurtres qui nous échappent !

L’autopsie médico-légale est-elle toujours décisive ?

Comment déjouer les pièges des meurtres dissimulés



Prof. Dr. François Beauthier

Médecin légiste

Maître de conférences à l’ULB

Directeur de l’IML Hainaut Namur

Prof. Dr. Jean-Pol Beauthier

Médecin légiste

Professeur honoraire à l’ULB

Institut Médico-légal Hainaut Namur &

Unité de médecine légale et d’anthropologie médico-légale

Laboratoire d’Anatomie, Biomécanique et Organogenèse (LABO – ULB)



Pour aller plus loin : https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807321458-traite-de-medecine-legale

Références :

Dugauquier C, et Beauthier J-P (2022) La mort inattendue et la mort subite du nourrisson. In JP Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 489-495.

Durand-Guévin A, Gareau-Léonard A, Ludes B, Keyser C, Cassiman JJ, et Milot E (2022) L’ADN et les analyses génétiques en médecine légale. In JP Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 1045-1080.

Ewalenko P, et Beauthier J-P (2022) Mort naturelle et mort subite. In JP Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 55-90.

Muehlethaler C, et Massonnet G (2022) L’examen forensique des microtraces sur les corps. In J-P Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 1071-1080. 

 

[1] La spécialisation qui est reconnue en Belgique, nécessite cinq années supplémentaires à la suite de l’obtention du diplôme de médecin.

[2] Le taux d’autopsies en Belgique est un des plus faibles d’Europe. Pour citer un point de comparaison, dans les pays nordiques, on autopsie jusqu’à 30% des décès.

[3] Recommandation n° R (99) 3. 

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