Ces meurtres qui nous échappent !

Le spectre des homicides ignorés a de quoi hanter les esprits des magistrats, policiers et médecins légistes. Comment enquêteurs et spécialistes en médecine légale peuvent-ils éviter les pièges tendus par les meurtriers ?

© Federale Police - Inforevue

Et pourtant, le sujet revient régulièrement dans la presse, en raison de découvertes sensationnelles, souvent tardives, d’aveux ou de révélations qui le sont tout autant. Sait-on chiffrer ces meurtres et assassinats qui passent à travers les mailles du filet ? Par définition, non bien sûr. S’ils sont ignorés – et pour le dire sous forme de lapalissade – c’est qu’ils sont inconnus… Tous les pourcentages apparaissent selon les auteurs, allant de 10 à 50%.

Si le camouflage d’un homicide n’est pas rare, il est impossible – faute de statistique – d’en déterminer valablement la fréquence. Ce sont les incendies volontairement provoqués pour camoufler le meurtre, les accidents de voie publique qui n’en sont pas réellement, le véhicule étant utilisé comme arme fatale, mais aussi les faux suicides par pendaison, camouflant la strangulation préalable. Les exemples sont innombrables passant également des décès liés à l’absorption de substances toxiques, mais également à ces corps altérés voire squelettisés dont l’examen est rendu très complexe (Alunni et al., 2022).

Où est donc la vérité ? Nul ne le sait et nul ne peut donc la prédire. Par contre, les divers acteurs intervenant au chevet de la personne décédée ont la possibilité d’éviter ces errements de diagnostic post mortem.

Voyons ces acteurs avant d’illustrer quelques cas difficiles, quelques pièges et surtout d’aboutir aux parades indispensables afin d’éviter ce fléau sociétal que représente l’impunité de ces meurtriers.



Les acteurs et la descente sur les lieux

Les premiers intervenants

Nous avions précédemment écrit (Beauthier, 2009) que la perte d’éléments de preuve trouve sa racine dans les errements initiaux d’une enquête, dans les fausses manœuvres de départ (que celles-ci soient commises de bonne foi par les premiers intervenants sur place, qu’ils soient policiers, médecins, ambulanciers ou simples témoins).

Prenons l’exemple du médecin généraliste de garde et appelé sur place pour constater le décès et rédiger le certificat. Il ne connaît pas les éventuels antécédents médicaux du patient. Il ne sait pas obtenir un quelconque renseignement de la part du médecin traitant au moment de son examen et pire, il n’a pas de connaissances suffisantes en médecine légale. Tous les éléments sont ainsi réunis pour aboutir à un diagnostic erroné et à la non-observation de signes pouvant soulever notre suspicion. Précisons que ce médecin ne peut être tenu pour responsable de cette ignorance d’un domaine médical très particulier, et dont l’enseignement au niveau du cursus des années de formation est beaucoup trop rudimentaire (Beauthier, 2005).

Les pompes funèbres – si elles ne sont pas routinières de notre prudence médico-légale et de notre souci du détail – peuvent également provoquer cette déperdition de preuve, par mobilisation du corps, et donc en modifiant ainsi non seulement la position de celui-ci, en bouleversant la « scène de crime » mais également en détruisant ces éléments utiles dans l’appréciation du moment du décès (pensons ainsi à la rupture de la rigidité cadavérique).

Le bon réflexe de ces premiers intervenants serait à coup sûr de créer rapidement un dossier photographique avant toute manœuvre intempestive (Crispino et al., 2022).

 

Le laboratoire de police technique et scientifique (LPTS) en symbiose avec le médecin spécialiste en médecine légale

Notre vœu pieux mais non encore appliqué de manière généralisée, ce que nous regrettons, c’est l’exploration des lieux par ce tandem qui lui, s’avère redoutablement efficace.

Rien n’échappe à la sagacité des techniciens de scène de crime (ou LPTS) lors de leur étude : indices comme des journaux dans la boite aux lettres, la télévision allumée, le chauffage en fonction ou non, le désordre dans l’habitation, les tiroirs ouverts, etc. et traces telles que les empreintes digitales, particules biologiques (sang, salive, cheveux et poils, sperme, etc.), traces sur des verres et autres objets, etc. s’avèrent essentielles à la compréhension des faits (Daoust et al., 2022 ; Durand-Guévin et al., 2022 ; Muehlethaler et Massonnet, 2022).

 

Que penser de l’examen externe du corps ?

C’est un moment relativement important dans la mesure où le médecin légiste peut observer le corps au sein de la « scène de crime » : i) des lésions récentes ou anciennes sont-elles visibles ? ii) observe-t-on des traces de lutte ? iii) les vêtements sont-ils souillés ou abîmés ? iv) quid des objets à proximité ?

L’examen externe peut s’avérer difficile car limité si l’on ne veut pas perdre des traces et microtraces utiles. C’est la raison pour laquelle nous avons dans notre pratique, l’habitude de ne pas inspecter les mains sur place. Nous préférons les emballer dans un sac papier afin de ne perdre aucun élément précieux. Les mains seront ainsi examinées en tandem avec le technicien de scène de crime, en salle d’autopsie, en bénéficiant d’un éclairage approprié.

Même pratiqué par un spécialiste en médecine légale, cet examen externe est peu fiable, sauf en ce qui concerne les données se rapportant à l’estimation du délai post mortem (information essentielle pour l’éventuelle et future enquête policière).



Prof. Dr. François Beauthier

Médecin légiste

Maître de conférences à l’ULB

Directeur de l’IML Hainaut Namur

Prof. Dr. Jean-Pol Beauthier

Médecin légiste

Professeur honoraire à l’ULB

Institut Médico-légal Hainaut Namur & Unité de médecine légale et d’anthropologie médico-légale

Laboratoire d’Anatomie, Biomécanique et Organogenèse (LABO – ULB)



Pour aller plus loin : https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807321458-traite-de-medecine-legale



Références :

Alunni V, Quatrehomme G, Georges P, Lefèvre P, Beauthier J-P, Orban R, Polet C, et Grévin G (2022) L’anthropologie et la personne décédée. In J-P Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique, 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 703-753.

Beauthier F, Hites M, Gaudissart J-L, et Beauthier J-P (2022) Autopsie médico-légale. In J-P Beauthier (ed.): Traité de médecine légale et criminalistique. 3e édition. Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur, pp. 137-160.

Beauthier J-P (2005) Le médecin généraliste confronté à la personne décédée. Une aide à la compréhension et à la rédaction du certificat de décès. Revue de la médecine générale 225:332-341. 

Beauthier J-P (2009) L'autopsie en tant que moyen de preuve - sa place dans la société actuelle. Bulletin et Mémoires de l'Académie royale de Médecine de Belgique 164:315-326.  doi:DI-FUSION

 

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